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Peu de jours après, on vit arriver M. de Porny à La Marnière. — Je me suis rappelé que j’étais grand chasseur, dit-il dès le débotté, et je viens dire deux mots aux chevreuils et aux sangliers de vos bois.

— Je vous attendais, répondit Gilberte.

Les yeux du vieux gentilhomme devinrent humides. — Ah ! reprit-il, si j’avais eu trente ans, peut-être ne seriez-vous plus dans ce grand château !

— Si vous aviez trente ans, je ne vous dirais pas d’y rester. Il oublia le lendemain et les jours suivans de prendre un fusil et de siffler les chiens. Il accompagnait Gilberte dans de longues promenades qui le faisaient pénétrer plus avant dans un cœur qui n’avait rien à cacher. La plaie se cicatrisait lentement. L’amertume s’en allait, et le désenchantement venait. Elle aimait à causer avec M. de Porny. Elle lui disait quelquefois en riant qu’il était plus jeune qu’elle. — Cela s’explique, répliquait-il, j’ai glissé à la surface de la vie.

— Vous avez eu peut-être raison, répondait Gilberte, expliquez-moi cependant pourquoi je ne regrette rien. Des lettres lui arrivaient quelquefois de René. Il voyageait. On pouvait deviner dans quelles conditions. Elle ne les ouvrait pas sans un léger tressaillement, et restait ces jours-là plus sérieuse et plus retirée en elle-même.

Mme de Varèze s’éteignait lentement. Toute la tendresse de son vieux cœur s’était reportée sur Mlle de Villepreux, qu’elle n’appelait jamais que sa fille. Elle n’avait plus de gaîté que près d’elle. Elle lui fit voir un jour un appartement qu’elle avait fait préparer secrètement à une époque où elle caressait un projet bientôt évanoui. — J’avais cru quelque temps, lui dit-elle, que tu partagerais ta vie entre La Marnière et La Gerboise. Toi aussi, ma fille, tu le désirais. Vers la fin de la saison, elle s’affaissa brusquement. Gilberte s’établit au château avec Mme de Villepreux. Ses jours se passaient dans la chambre d’une mourante. L’amour de Mme de Varèze pour son petit-fils lui était revenu aux approches de la mort. Elle en parlait comme au temps où il était enfant et se blottissait entre ses genoux. Ses regards s’attachaient avec attendrissement sur Gilberte ; elle lui serrait la main, l’attirait auprès d’elle, et, tout bas à son oreille : — Toi aussi tu l’as aimé, disait-elle.

Un soir, à la clarté pâlissante d’un jour d’hiver, elle agita ses mains blanches sur son lit. Ses regards anxieux cherchèrent Gilberte et l’appelèrent à son chevet. — Voici l’heure, embrasse-moi, lui dit-elle.

Puis, tandis que les lèvres de Gilberte s’approchaient de son