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— Ne faut-il pas que jeunesse se passe ?

— La vôtre devrait être passée depuis quelque temps déjà !

— Quel âge me croyez-vous donc ?

— L’âge de faire des choses raisonnables. Écoutez-moi. L’ironie de votre sourire ne m’arrêtera pas plus que l’impatience de votre regard. Un jour vous m’avez pris la main d’une façon et parlé d’une voix qui m’ont liée à vous mieux que ne l’eût fait un serment. Je ne trahirai pas votre cause ; seulement j’en voudrais faire la mienne. Cela dépend encore de vous. Je n’ai pas à vous parler de moi, vous me connaissez ; telle j’étais le jour où je vous ai ouvert mon cœur sur la route de La Marnière, telle je suis aujourd’hui. Vous ne trouverez pas une femme qui vous soit plus dévouée… Ayez pitié de vous.

René laissa échapper un geste d’irritation. — Comment l’entendez-vous ? s’écria-t-il d’un air hautain.

Les yeux de Gilberte se remplirent de larmes. — Comme une femme qui vous aime, et qui pour vous avait fait d’autres rêves.

— Ah ! oui, les rêves de Gilberte !

— N’en dites pas de mal, s’écria Mlle de Villepreux en se redressant, c’est par eux que je vaux quelque chose.

Elle s’arrêta, et d’une voix tendrement sérieuse : — Je vous tends la main, prenez-la, dit-elle. Plus tard, vous me la demanderez, et ce jour-là peut-être je vous la refuserai.

— Bah ! fit-il étourdiment.

Un peu de rougeur parut sur le visage de Gilberte. — Je vous adjure de ne pas me mettre à l’épreuve, dit-elle.

L’entretien en resta là. M. de Varèze quitta Gilberte mécontent de lui et surtout mécontent d’elle. — Elle me prend pour un écolier, se disait-il. Cependant il reparut chez Mme de Villepreux ; il y passa même quelques soirées. Gilberte était heureuse de ce léger changement.

Malgré la vigoureuse éducation qu’elle avait reçue et ce que la lecture, la méditation, les conversations du monde avaient pu lui apprendre de la vie, Gilberte avait des candeurs d’enfant. Elle se demandait quelquefois avec inquiétude si elle avait bien tenu à René le langage le plus propre à le ramener. N’avait-elle pas été trop sévère ? Pourquoi n’essaierait-elle pas de lui plaire par les côtés qui semblaient l’attirer ? Elle était jeune, on ne lui avait pas caché à Niederbrulhe qu’elle était jolie : pourquoi ne se ferait-elle pas comme d’autres des armes de l’élégance et de la gaîté ?

Cette pensée la troubla, comme il suffit de la chute d’une feuille pour troubler la sereine limpidité d’une fontaine ; mais il s’agissait de lui, et elle se résigna, malgré les révoltes de sa conscience, à