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blent vous occuper. Cessez donc un badinage qui m’afflige sans me faire changer, et, en dégageant, si vous voulez, Gilberte de tout ceci, pensez sérieusement aux conseils sérieux que votre cousine a donnés à mon ami René.

Elle parlait d’une voix ferme, mais dans la transparence de la nuit il vit une larme briller au coin de ses paupières. Il y eut en lui comme une secousse. — Vous le voyez, dit-il avec une sorte d’accablement, vous valez mieux que moi. Irritée, ironique ou boudeuse, j’aurais vu moins clairement la distance qui nous sépare. Un défaut, une faiblesse nous rapprochait. Vous souriez ?… Moi, je suis triste…

— C’est bon signe !

— Vous croyez ? mais cette tristesse, où me mènera-t-elle ? C’est une impression ; elle passera. Je me connais trop pour en douter. Vous parliez d’une épreuve tout à l’heure. Eh bien ! oui, je l’ai tentée… Vous froncez les sourcils à présent ? C’est petit, mesquin, ridicule même, enfin indigne de vous ; mais je ne me mettrai pas à l’abri d’un mensonge pour éviter un reproche mérité, non, j’aurai le courage de mes vilaines actions ; vous les saurez toutes, et me jugerez tel que je suis. Le plus étrange, c’est que je sens que vous êtes dans le vrai. Si le bonheur est pour moi quelque part dans le monde, c’est à côté de vous que je le trouverai. Je voudrais vous adorer, et quelque chose en moi s’y oppose. Si j’en recherche la cause, j’y découvre un mélange de respect et de crainte avec une part légère de mécontentement. Cette part honteuse vient du sentiment de mon infériorité relative, et vous en subissez l’injuste contre-coup. Me comprenez-vous bien, vous rendez-vous compte de ce qui se passe en moi et de ce qu’il y a de confus dans ce que j’éprouve ?

— Oui, seulement je n’accepte pas tout entiers les éloges implicitement cachés dans votre réponse ; mais enfin, pour effacer cette infériorité dont vous parlez, et qui n’est qu’un accident, en admettant qu’elle soit, que n’essayez-vous d’un moyen qui est à la portée de tout le monde, le travail ?

— C’est-à-dire que vous me poussez vers une occupation ?

— Tout simplement.

— Eh bien ! je vais vous étonner beaucoup en vous disant que cette oisiveté dans laquelle je m’oublie est peut-être la chose qui prouve le plus en ma faveur.

— Vous m’étonnez beaucoup en effet.

— Regardez cependant ce qui se passe autour de nous. Je n’ai pas le goût des occupations dont l’argent est à la fois le but et le moyen ; j’y répugne même. Quant à celles où l’on pourrait faire un