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— La vérité. Ce n’était plus un feu de paille. Il y avait là de la suite, un désir solide de mener à bonne fin une entreprise utile, et c’est ce qui fait que j’ai pensé qu’on pouvait, qu’on devait vous tirer de la mauvaise voie dont vos conversations m’avaient fait entrevoir les ornières. C’est comme cela que je suis arrivée à vous aimer sans le savoir. Je me disais qu’une femme honnête et bonne, animée d’une volonté droite, qui mettrait tout son cœur dans son devoir, toute son intelligence dans sa tendresse, vaudrait mieux pour vous que ce décousu d’une vie où vous perdez vos meilleures années. Cette femme assurément vous donnerait plus de bonheur en une semaine que toutes vos sottises en un mois, un bonheur qui n’aurait besoin ni de se cacher, ni de fuir, et sa récompense serait de voir se développer et fructifier tous les germes excellens qu’il y a dans vous. À force d’y rêver, j’ai fini par croire que cette femme, ce pourrait être moi, et, en descendant au fond de mon âme, avec un trouble dont vous ne pouvez avoir l’idée, j’ai vu que j’avais le dévoûment sincère, la fermeté de résolution, l’ardeur absolue, et ce sentiment inaltérable et sérieux, que je donnerais le dernier battement de mon cœur à qui en aurait le premier. Je vous ai vu au fond de mon songe dans une maison paisible et respectée, voué à une occupation utile, entouré d’êtres à qui vous donneriez les meilleurs exemples, aimant, aimé, et près de vous, dans toute la paix d’une tendresse lumineuse, sa main dans la vôtre, enivrée de votre bonheur, perdue dans votre pensée, une femme qui me ressemblait.

— Gilberte !

— Mais, sur cet aveu, n’allez pas croire que je veuille vous prendre par la main, et, vous menant à ma mère tout droit, lui dire : Voici M. René de Varèze, mon mari ! Non ! Les choses vont au galop dans un rêve ; dans la vie réelle, elles vont au pas. Il faut que vous vous habituiez, par la pensée, à voir en moi votre femme ; bien plus encore, il faut que vous me méritiez.

— Comment l’entendez-vous ? s’écria René, un peu surpris.

— Cela s’entend de soi. J’ai, sans faire ici de fausse modestie, une valeur que j’estime ce qu’elle vaut. Quelques efforts vous paraissent-ils inutiles pour que Mme Gilberte de Villepreux devienne Mme René de Varèze ? Franchement vous vous tromperiez. Si vous le pensiez, vous n’oseriez pas me le dire ! Le soin que vous prendrez de me plaire me prouvera déjà que vous vous amendez. Ma conviction est que non-seulement votre bonheur, mais encore votre salut, ce qui est plus grave, sont dans la voie que je vous indique et où je ne demande pas mieux que de vous suivre.

— Avez-vous parlé de tout cela à Mme de Villepreux ?

— Certainement, seulement je ne vous ai pas nommé.