Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/726

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trée un jour d’hiver sur une route voisine de celle-ci, et qui marchait accompagnée de trois enfans, deux fillettes et un garçon ?

— Parfaitement.

— La pauvre femme paraissait misérable ; vous l’avez secourue.

— Qui n’eût fait comme moi ?

— Avec cet élan et cette générosité ? Je ne sais pas. N’oubliez pas que vous avez vidé votre bourse dans sa main, une bourse qui m’a semblé assez bien garnie.

— Je ne sais plus.

— Céder au premier mouvement, le bon, c’est déjà quelque chose, mais le beau c’est que vous avez offert le bras à cette malheureuse, et que vous avez pris bravement le petit garçon par la main. Voilà ce qui m’a touchée plus que je ne saurais le dire ! J’ai vu par là que vous n’étiez pas de la commune espèce, et qu’on pouvait tirer le bon grain de l’ivraie.

— Parce que j’ai donné mon bras à une femme qui pouvait à peine se traîner ?

— Oui, cela n’a l’air de rien et c’est beaucoup. Les hommes font des choses héroïques dans certaines circonstances, quelquefois ils jouent leur vie pour un mot ; mais il en est peu qui s’élèvent jusqu’aux actions simples où les gens qui aiment à rire peuvent trouver un sujet de plaisanterie. Combien en a-t-on vus qui monteraient à l’assaut d’une batterie le front haut, et qui dans un salon se mourraient de honte, si un pauvre diable, tombé dans les bas-fonds d’une place subalterne et tristement vêtu d’un habit râpé, venait innocemment leur rappeler qu’ils ont traduit les mêmes versions sur les bancs du même collège !

— Vous avez remarqué cela, vous ?

— Je parle si peu !

— Et alors ?

— Alors j’ai voulu savoir si ce que vous veniez de faire n’était que l’éclair d’une généreuse inspiration ;… mais non ! Je me suis informée et j’ai appris, — quand on veut savoir les choses, il y a toujours quelqu’un qui vous les raconte, — qu’après avoir tranquillement conduit, et en l’encourageant de bonnes paroles, cette pauvresse que vous aviez recueillie, jusqu’à une auberge où vous pouviez rencontrer des belles personnes de votre connaissance, ce qui ne vous a pas fait hésiter une minute, vous avez veillé sur elle et les enfans, car la maladie avait vaincu son courage, et, sûr qu’elle ne vous avait point trompé, vous n’avez pris aucun repos que le mari n’eût du travail et la femme un asile. Si les enfans vont à l’école, qui donc en paie les frais, s’il vous plaît ?

— Comment ! on vous a dit ?…