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parut. Le visage de Gilberte devint couleur de feu. En un instant, elle fut auprès de lui. — Je vous croyais parti, dit-elle.

— Oh ! fit-il en la regardant d’un air surpris, on peut disparaître sans partir pour cela.

Elle sembla réfléchir sans le perdre des yeux. — Qu’avez-vous ce soir ? reprit René, jamais je ne vous ai vue ainsi ; votre voix à un accent, votre visage une expression que je ne leur connaissais point.

— Laissons cela ; ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de vous. Vous promenez-vous demain, et, si j’avais à vous parler, auriez-vous une heure à me donner ?

— Certes, mais pourquoi ?

— C’est ce que je vous dirai demain.

— Où alors ?

— Eh bien ! dans ce même endroit où une voiture vous a enlevé aujourd’hui, près du gros noyer.

René à son tour devint pourpre. — Dirigez votre course de ce côté-là, à la même heure, continua Gilberte, il est probable que vous m’y rencontrerez.

Un signe de Mme  de Villepreux la ramena auprès d’elle ; Gilberte adressa un sourire à René, qui restait silencieux, prit des mains de M. de Vézin, et sans le voir, le manteau qu’il lui tendait, et sauta en voiture.

Le lendemain, dans la matinée. Mme  de Villepreux la fit appeler.

— Tu as vu M. de Vézin, dit-elle, je sais que tu as causé avec lui, que penses-tu de son esprit et de ses manières ?

— Il m’a paru qu’il avait l’esprît solide avec une nuance d’affectation ; la manière dont il attache son ruban en est la marque. Quant à ses manières, ce sont celles d’un homme du monde.

— Je puis donc l’autoriser à venir ici ?

— Vous a-t-il demandé cette permission avec une intention déterminée dont il ait pris soin de vous faire part ?

— Oui.

— Alors je vous serais reconnaissante de la lui refuser.

— Tu es un peu prompte, ce me semble, à te décider, ma fille ; permets-moi d’insister. La famille de M. de Vézin est honorable et bien posée ; il a de la fortune, ce qui n’est pas une chose à mettre au-dessus des autres, mais ce qui n’est pas non plus un avantage à dédaigner. Son désir est de faire sa vie sérieuse et de suivre une carrière publique. Il croit, et il a raison de croire, que tu es femme à te comprendre et à lui être d’un utile secours. S’il a des défauts, les qualités que je lui connais l’emportent et les dominent. Je n’ai point d’autre attache dans ce monde que toi. Si donc je te