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un moment d’hésitation. L’une des petites filles saisit un pan de sa robe, sa sœur accourut, et toutes deux, se tenant par la main, la suivirent. Le petit garçon marchait à côté de René, qu’il avait pris en amitié, effaré, mais souriant déjà. Gilberte profita d’une haie épaisse qui bordait le chemin pour se glisser à leur suite sans être remarquée. — Je connais un bouchon qui n’est pas à plus d’un kilomètre d’ici, poursuivit René, qui soutenait la pauvresse, on vous y fera souper, et, avec un bon feu de bourrée, une nuit est bientôt passée. J’enverrai prendre des nouvelles de votre mari, à qui l’annonce de votre visite donnera du cœur. Quant au travail que vous cherchez, je m’en charge.

— Dieu vous bénisse, monsieur.

La route faisait un coude où la haie s’interrompait brusquement. Gilberte, qui ne voulait pas être aperçue, s’arrêta, et bientôt après perdit René de vue. — Il a le cœur bon, se dit-elle en reprenant à pas lents le chemin de La Marnière. Des rêves l’assaillirent, dans lesquels elle se voyait sur un large sentier tapissé d’herbe verte, au bras de René, avec deux ou trois enfans qui sautaient autour d’elle. Il faisait chaud sur ce sentier, les enfans avaient l’aspect gai et bien portant, René semblait heureux. On voyait sur la lisière d’un champ que traversait une rivière une maison ample dont les fenêtres étaient tournées du côté du soleil levant. Des vignes et des rosiers blancs montaient jusqu’au toit, mêlant leurs pampres et leurs fleurs. Tout à l’entour, une vaste campagne prolongeait ses ondulations calmes jusqu’à l’horizon. Continuant son rêve, Gilberte apercevait sur les marches d’un petit perron sa mère, qui l’appelait. Les enfans s’élançaient pour l’embrasser. — Me voilà ! dit Gilberte, qui pressa le pas.

— Enfin ! cria une voix douce qui la fit tressaillir.

Elle leva les yeux, et vit Mme de Villepreux devant elle sur le revers d’un saut de loup qui fermait le parc. — Je t’ai appelée deux ou trois fois déjà,… tu n’avais pas l’air de m’entendre… Tu rêvais sans doute ?

— Oui, je rêvais, dit Gilberte, qui rougit.

Et, prenant son élan comme elle faisait du temps qu’elle était écoliere à Niederbrulhe, d’un bond elle franchit le petit saut de loup, et fut à côté de Mme de Villepreux.

Un second hasard devait rapprocher Gilberte de René, mais dans des circonstances qui avaient un caractère plus intime. La saison était dans son renouveau ; tout brillait, tout chantait. Le babil des ruisseaux semblait plus joyeux entre les rives gazonnées des prés, tout parsemés de fleurs ; des brises folles caressaient le feuillage vert. Des murmures et des senteurs pénétrantes sortaient de tous