Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/691

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pépin d’Héristall, la population franque établie sur la bande rhénane n’avait cessé de te répandre et de refluer sur le reste de la Gaule. Le fonds qui restait d’elle en Lorraine s’était donc bien affaibli et avait d’ailleurs été absorbé dans l’élément indigène. On a vu que les Francs, comme les Romains, s’étaient appliqués à maintenir la frontière naturelle, la ligne de démarcation entre les Celtes et les Germains ; c’était pour défendre l’unité de la région gallo-franque que Clovis avait vaincu à Tolbiac : le fier sicambre entendait bien que les premiers campemens des siens en deçà du Rhin, c’est-à-dire la Belgique et le territoire de Cologne, Strasbourg et Metz, ne sortissent jamais des mains de ses descendans. L’Allemagne moderne n’en revendique pas moins l’antique Lotharingie comme un héritage patrimonial du monde tudesque ; elle oublie que, si Charlemagne était Austrasien, l’Austrasie n’était pas germaine : l’Austrasie était l’Austrasie. Le monde germanique fut conquis et dompté par une famille austrasienne, celle des Charles et des Pépin ; ce fut cette famille qui posa la digue devant laquelle dut s’arrêter l’invasion des barbares de l’est. Lors du démembrement de l’immense empire carlovingien, l’Austrasie sépara les peuples qu’elle avait un moment unis ; elle vécut à part, de sa vie propre : les rois de Lorraine recevaient l’onction sainte à Trêves, ceux d’Allemagne à Mayence ou à Cologne, ceux de Neustrie à Sens ou à Reims. C’était la diversité de races plus encore que l’incapacité des successeurs de Charlemagne qui avait amené la dissolution de 842 ; la conséquence fut l’expulsion de la langue tudesque en-deçà du Rhin. De bonne heure, celle-ci avait reculé vers l’est, tandis que la langue welche ou romane pénétrait par la Sambre et la Meuse jusqu’à Liège. Comme l’a fait remarquer un savant critique, dans le mélange de plusieurs peuples l’influence d’un idiome est en raison non-seulement du nombre, mais du degré de culture de ceux qui le parlent. La civilisation gallo-romaine étant fort supérieure à celle des Germains, la langue de ceux-ci exerça en Gaule peu d’empire ; c’est ainsi que les Mongols, vainqueurs des Chinois, ont adopté la langue de ces derniers. Les princes carlovingiens eux-mêmes évitaient avec soin tout ce qui pouvait rappeler l’Allemagne ; ils prirent volontiers le langage du peuple indigène, et le dialecte teutonique n’exista plus, pour ainsi dire, qu’à l’état isolé chez quelques barons germains de pure race résidant auprès du souverain. Déjà en 911, personne à la cour de Charles le Simple n’entendait plus le langage d’outre-Rhin, et ce ne fut pas pour Louis IV un médiocre sujet d’impopularité que de ne comprendre que le tudesque au milieu d’un peuple parlant l’idiome vulgaire issu du latin. À partir de Hugues Capet, la séparation des deux langues continue en s’accélérant ; celle des conquérans