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réalité à de vaines formules, à une empreinte inoffensive de seing royal ; la nouvelle autorité monarchique demeurait bien et dûment tenue en respect par une ceinture de grands fiefs armés en guerre, ceux de Normandie, de Bretagne, d’Anjou, de Bourgogne, de Champagne, dans lesquels régnaient des dynasties féodales acceptées et obéies des populations. On peut donc dire que la maison de France avait déchu en puissance réelle depuis qu’elle avait échangé la couronne ducale pour le diadème de roi. Son ambition ne s’était satisfaite qu’au prix de grands sacrifices : pour gagner le clergé, le comte de Paris avait résigné les riches abbayes dont il jouissait ; pour s’assurer des barons, il avait dû leur concéder nombre de fiefs aux dépens de son domaine. Il avait pourtant immolé sans hésiter le présent à l’avenir ; un instinct l’avertissait que le temps et la force des choses fortifieraient cette royauté qui, en attendant la crue en hauteur, enfonçait déjà ses racines dans un sol bon pour la nourrir.

On doit remarquer que l’Allemagne s’était abstenue d’intervenir dans notre révolution nationale de 987. Plusieurs causes devaient prolonger cette trêve. La principale, c’est que les visées guerrières de l’Allemagne se détournèrent de l’ouest pour se porter sur la péninsule italienne, et que la France de son côté, tout à ses démêlés avec l’Angleterre, oublia pour un temps la Lorraine. Ce territoire austrasien avait alors cessé de constituer un royaume pour n’être plus qu’un simple duché ; plusieurs grands fiefs s’en étaient séparés, pour vivre à l’écart, par exemple le royaume de Bourgogne, qui, comme la Lorraine, relevait de l’empire, la Bourgogne ducale et la Flandre, qui relevaient de la France. Une ligne arbitraire, formée par l’Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône, marquait donc toujours notre frontière à l’est ; le traité de Verdun demeurait intact. Cependant les populations austrasiennes étaient purement françaises par leurs sympathies comme par leur histoire : la plus grande incarnation de la nationalité française, Jeanne d’Arc, naîtra plus tard dans une enclave champenoise de la Lorraine. Toutes ces importantes cités des bassins du Rhin et de la Moselle, Strasbourg, Mayence, Metz, Cologne, étaient pleines de souvenirs latins, gaulois ou francs. Et ce n’étaient pas seulement les lois de la géographie et l’histoire qui rattachaient cette région à la monarchie gallo-franque ; au point de vue même de l’ethnographie, l’Allemagne n’y pouvait rien prétendre. Aucun mélange n’avait réussi à expulser la race gallo-kimrique, qui l’occupait lors de l’arrivée des Romains ; sous les diverses couches successives accumulées par les colonies latines, les tribus saliennes, sicambres et ripuaires, l’élément primordial, le belge, s’était toujours conservé. Il y a plus : depuis