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s’annonçaient dès le règne de Charles le Simple, étaient devenus comme les assises de la nouvelle société. Hugues Capet fut couronné par l’archevêque de Reims dans la cathédrale de Noyon le 1er juillet 987. On le proclama, dit le chroniqueur, « roi des Gaulois, des Bretons, des Normands, des Aquitains, des Goths, des Espagnols et des Gascons. » Il va sans dire qu’il ne régna pas de fait sur tous ces pays ; il devait s’écouler de longues années avant que la France méridionale fût ramenée à la suzeraineté du nord, et reconnût les descendans de l’élu de Senlis : il y faudra la puissance d’attraction continue exercée sur les divers états féodaux par le fief central de Paris et par l’influence morale de la ville dans l’orbite de laquelle tout finira par graviter. Dès la fin du VIe siècle, on avait paru pressentir cette action dominatrice de l’antique Lutèce ; lors du partage territorial qui avait eu lieu en 576 entre les fils de Héribert, Gontran, Sigebert et Chilpéric, aucun des trois princes francs n’avait voulu renoncer à ses prétentions sur cette cité ; ils avaient divisé en trois parts les domaines royaux de la région parisienne, et chacun d’eux avait juré sur les reliques des deux grands patrons de la Gaule, saint Martin de Tours et saint Hilaire de Poitiers, de ne jamais entrer dans la ville sans le consentement de ses frères, sous peine de perdre son lot du royaume patrimonial.

Le carlovingien Charles de Lorraine fit bien après coup une tentative désespérée pour restaurer sa dynastie. Avec l’aide d’un bâtard de Lothaire, Arnulf, promu par Hugues au siège de Reims après la mort d’Adalbéron, il réussit à s’emparer de Laon et de Reims ; mais son aventure, qui avait paru un instant heureuse, finit assez tristement : il fut livré à Hugues Capet, qui l’enferma dans la tour d’Orléans, tandis que l’archevêché d’Arnulf était donné à Gerbert, ce conseiller d’Adalbéron destiné plus tard à devenir pape sous le nom de Sylvestre II. Cette dernière tentative de réaction en faveur du principe de la légitimité servit de leçon au nouveau roi de France, qui crut prudent d’allier désormais le droit féodal au droit divin en faisant sacrer de son vivant son fils Robert ; cet exemple sera suivi par tous ses successeurs jusqu’à Philippe-Auguste.

En somme, dans cette révolution de 987, qui ouvrait pour la France une ère nouvelle, le véritable vainqueur, c’était le régime féodal. Aux yeux de la royauté latine des Carlovingiens, le principe germanique de la féodalité, c’est-à-dire l’existence de souverainetés locales, n’avait été qu’une usurpation criminelle ; aux yeux d’un comte de Paris investi de la haute suzeraineté par les seigneurs ses pairs, ce principe prenait un tout autre caractère : chaque chef de guerre, chaque fidèle demeurait chez lui un prince légitime au