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Il commença par obtenir des seigneurs un arrêt qui innocentait Adalbéron ; puis il invita ce prélat, qui « excellait dans la science des choses divines et humaines, » et avec lequel il était toujours resté en communion d’âme, à exposer ses vues personnelles sur la situation et l’avenir du pays. L’archevêque de Reims entra dans ce rôle d’arbitre suprême avec une autorité, une aisance, une sagesse, qui prouvaient qu’il en était digne. Afin de ménager la transition politique, il marqua en quelque sorte la première étape à franchir. « Notre roi très pieux, dit-il, étant monté au séjour des esprits, et la bienveillance du grand-duc et des autres princes m’ayant relevé de l’accusation portée contre moi, je viens délibérer avec vous sur la chose publique. Je n’ai pas d’autre but que de proposer ce que je crois utile à l’intérêt général ; je cherche l’opinion commune, parce que je désire le bien de tous. Comme je ne vois pas ici tous les princes dont la prudence et le zèle pourraient assurer la bonne administration du royaume, il me semble que le choix d’un roi doit être différé, afin qu’au temps convenu tous se rendent à l’assemblée, et que chacun puisse utilement produire l’opinion qu’il croira la meilleure. Qu’il vous plaise donc, à vous qui êtes ici pour délibérer, de vous lier avec moi par serment au grand-duc, et de promettre devant lui que vous n’entreprendrez rien pour l’élection d’un prince jusqu’à ce que nous nous trouvions réunis de nouveau pour agiter cette question en commun. Il importe beaucoup en effet d’assurer un certain temps à la réflexion. » Cette déclaration fut suivie d’un assentiment unanime. Ainsi le pays légal de ce temps, c’est-à-dire la majorité des grands vassaux, venait de consacrer solennellement la déchéance du principe d’hérédité, base de la monarchie impériale ; le trône était reconnu vacant, et l’élection seule devait pourvoir à cette vacance. Les seigneurs, en se séparant, s’ajournèrent à Senlis pour le 3 juillet suivant.

À cette grande assemblée en quelque sorte « constituante, » comme on l’appellerait aujourd’hui, se présentèrent, ou peu s’en faut, tous les pairs et vassaux de la langue d’oil : Henri de Bourgogne, Richard sans Peur, duc de Normandie, Eudes, comte de Blois, de Chartres et de Tours, les comtes de Vendôme, du Vexin et du Maine, ainsi que plusieurs seigneurs d’outre-Loire. Jamais Carlovingien, au comble de la grandeur, n’avait eu l’honneur d’un entourage plus brillant et surtout aussi national que celui qui se pressait à Senlis autour de Hugues. Le duc de France n’eut pas un mot à proférer ; ce fut encore son ami et confident Adalbéron qui prit la parole et entra de plain-pied dans la question. « La pensée générale, dit-il, devra ressortir de la majorité des opinions exprimées… Il y a des gens qui prétendent que le trône appartient par droit de naissance au duc Charles