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d’énergie et de constance chez un peuple gardien-né de la plus importante des frontières gauloises eussent mérité d’être accueillies et soutenues par Louis IV comme un sûr élément de victoire dans la lutte intestine qu’il entreprenait ; mais, loin de venir à propos en aide à la Lorraine, il ne songea même pas à s’y établir pour mettre la main sans coup férir sur la succession de Gislebert ; il laissa l’Allemagne river de nouveau la chaîne à ce beau pays, et se promena quelque temps de ville en ville et de fête en fête avec sa jeune épouse au bras.

C’est que Louis IV n’était pas un homme politique comme son rival Hugues le Grand, ce n’était qu’un rude batailleur qui pensait avoir tout prévu lorsqu’il avait assuré son glaive dans sa main. Vaincu par les féodaux, il comprit pourtant qu’il lui fallait recourir désormais à d’autres armes. Tous ses adversaires disposaient de fiefs constitués en principautés distinctes et indépendantes : duché de France, Normandie, Flandre, Vermandois. De quoi se composait son domaine à lui ? De quelques châteaux, Compiègne, Laon, c’est-à-dire de rien ou presque rien, puisque l’Austrasie, par sa faute, lui avait glissé entre les doigts. À coup sûr, la lutte serait inégale tant que la dynastie carlovingienne ne se serait point fait un riche et vaste domaine avec de bonnes citadelles. Tout d’abord Louis à son tour implora l’appui moral d’Othon, à qui sans doute, par une coupable faiblesse, il abandonna définitivement l’Austrasie. À ce prix, le roi de Germanie lui fut acquis ; puis il voyagea de tous les côtés, en quête d’alliances ou de bonnes aubaines territoriales. Comme il revenait de ces chevauchées en Touraine et en Anjou, la fortune, qui jusqu’au dernier jour se plut à gâter sa race, lui offrit tout à sa portée une proie magnifique. Le duc de Normandie, Guillaume-Longue-Épée, venait d’être assassiné par les gens du comte de Flandre, avec lequel il était en guerre à propos du petit port de Montreuil. Le devoir et le rôle de Louis IV étaient de châtier le meurtrier ; mais comment l’eût-il fait ? Fort empêché de son impuissance, le roi prit néanmoins à tout hasard la route de Rouen. « En cheminant, dit l’auteur des Comtes de Paris, il songeait à son passé et à son avenir. Il était le petit-fils de Charlemagne, l’héritier de la plus illustre famille du monde ; mais, dépouillé par une suite de malheurs, il était comme un étranger au milieu de ce peuple qui le saluait au passage ; ces forteresses aux tours crénelées, ces hommes d’armes couverts de fer appartenaient à ses ennemis. Ne lui serait-il donc jamais permis de déchirer la charte de Kiersy et de reprendre les concessions arrachées à la faiblesse de ses pères ? Quelle merveilleuse terre que cette Normandie ! Qu’admirer le plus de la fertilité des campagnes,