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le bonheur d’inaugurer sa royauté par un coup d’éclat ; les pirates normands furent écrasés à Montfaucon. Cette victoire eut pour effet de frapper momentanément d’impuissance toutes les menées du parti de la « légitimité ; » par surcroît de précaution, l’habile Eudes fit une visite de déférence au roi de Germanie, qui lui répondit en suzerain par l’envoi d’une couronne d’or. En dépit de cette solennelle comédie, le sceptre carlovingien demeurait lourd à porter, et le roi Eudes regretta plus d’une fois la puissance moins éclatante, mais plus réelle, du duc de France. Cette royauté dont on l’avait investi n’était-elle donc qu’un vain titre, et ne devait-elle avoir pour toute arme et pour tout emblème qu’une épée de combat à brandir contre les Normands ? Si Eudes songeait ainsi, c’est qu’il avait en quelque sorte l’intuition du rôle que la maison de France était appelée à remplir ; mais l’heure du nivellement politique n’était pas encore pies de sonner. Les deux pouvoirs alors en pleine croissance, la féodalité et l’église, se chargèrent de le démontrer au fils de Robert le Fort. L’église ne voyait dans l’élu des barons : qu’un intrus, un adversaire des saines doctrines monarchiques, qu’elle se réservait de combattre à outrance, tout en acceptant ses bienfaits. Les grands vassaux se repentaient, d’avoir donné à Eudes l’onction féodale ; ils trouvaient que leur créature avait l’air de prendre sa tâche bien au sérieux, et que la nouvelle maison de France laissait trop deviner son désir de reconstituer un pouvoir central. De ces craintes et de ces rancunes sortit bientôt un vaste mouvement de réaction en faveur du Carlovingien Charles le Simple. À la tête de la coalition, où étaient entrés tous les hauts possesseurs de fiefs et le roi de Lorraine, Zwentibold, se trouvait l’archevêque Foulques, allié personnellement à l’ancienne dynastie. Quant au roi de Germanie Arnulf, il joua un singulier rôle, — le seul pourtant qu’il pût jouer, — dans cette guerre de trois années entre le roi héréditaire et le roi féodal. Il les assista tous deux alternativement, reçut les hommages de l’un et de l’autre, et s’en tint en somme à ce jeu innocent de suzeraineté. La lutte des deux princes rivaux, qu’il, n’y a pas lieu de raconter ici, finit d’une manière inattendue : Eudes, vainqueur, tendit la main au Carlovingien battu et fugitif, lui donna part à la royauté, et l’année suivante (898) sa suprême parole en mourant fut une prière à ceux qui l’entouraient « de garder leur foi à. Charles. » Ainsi le premier roi national déshéritait lui-même sa maison pour cette lignée de césars que sa maison avait supplantés. Et pourtant jamais acte testamentaire ne fut empreint d’une plus grande sagesse, ni d’une plus, claire prescience de l’avenir. En réalité, il était trop tôt pour jouer le rôle, de fondateur de dynastie ; c’eût été lâcher la proie pour l’ombre.