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formés de l’empire carlovingien ; sous le nom de Lorraine (Lotharingie), toute la bande de territoire entre l’Escaut, la Meuse, le Rhône et le Rhin, fut adjugée à Lothaire, et se vit attachée temporairement au nouveau royaume d’Italie. À cette date, le royaume allemand d’outre-Rhin, c’était proprement le pays du Mein, c’est-à-dire la Franconie, d’où les princes austrasiens étaient sortis. Quant à la France, privée de ses vieilles limites gauloises, de ses frontières naturelles à l’est, elle fut resserrée dans un cadre étroit et arbitraire que, sous peine de ne pouvoir respirer à l’aise, elle devait essayer de rompre.

Plusieurs causes ôtèrent d’abord toute gravité au choc des deux nations rivales. Ce fut en premier lieu une nouvelle invasion de barbares, celle des Normands. Le flot des envahisseurs, qui depuis Charlemagne se heurtait à l’est contre des barrages infranchissables, avait fait un détour par les régions Scandinaves, d’où il s’abattit tout à coup sur les embouchures de l’Escaut, de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Cette importante diversion, dont de récens historiens ont fait avec raison ressortir l’effet sur les destinées de l’Europe naissante, ajourna donc la première passe sérieuse du duel de la France et de l’Allemagne. Une autre cause encore vint suspendre ou atténuer la collision des deux peuples : ce fut le mouvement général de décentralisation qui s’accomplit en même temps dans l’un et l’autre pays au profit des groupes nouveaux, marquisats, baronnies, comtés, châtellenies, établis sur le modèle des anciens « trustes » germains. Nous entrons ici au cœur même de notre sujet. En France, les donjons, les fertés, construits sur l’ordre exprès du roi pour assurer la défense commune contre les barbares, devinrent peu à peu autant de places fortes du haut desquelles la féodalité battit en brèche l’unité monarchique. Les souverains n’avaient pas alors des armées toujours disponibles ; en face des incursions normandes et des attaques de son frère Louis le Germanique, qui régnait sur le pays d’outre-Rhin, Charles le Chauve par exemple n’avait eu d’autre ressource que de faire appel à des volontaires, à des leudes, qu’il attachait à son service au moyen de fiefs et d’honneurs. Or parmi ces fidèles il en était un dont la famille devait avoir la haute fortune de supplanter un jour la dynastie carlovingienne, et de fonder cette « maison de France » huit fois séculaire dont le grand travail, l’œuvre-maîtresse, sera précisément la lente et infatigable reconstruction de l’unité gauloise. Ce fidèle s’appelait le comte Robert. De ses aïeux, de sa race, nul historien jusqu’ici n’a rien découvert de précis. Était-ce un homme de souche celtique, ou un descendant des Germains ? On ne sait ; l’érudition bénédictine elle-même, si habile à débrouiller les problèmes les plus