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rêve des utopistes, de tous ceux qui n’ont pas la moindre notion des conditions fondamentales de la société.

L’impôt sur le revenu prend l’eau à sa source et la diminue ; l’impôt progressif fait plus, il la tarit complètement. Qui sera très empressé de travailler et de courir les chances du commerce lorsqu’il saura qu’au-delà d’un certain chiffre la plus grosse part de la fortune qu’il aura péniblement amassée sera dévolue au fisc ? Il arrivera nécessairement ce qui est arrivé à Florence, en Hollande, ce qui se représentera partout et toujours lorsque les taxes seront iniques et oppressives : les capitaux et les populations émigreront, et le pays sera ruiné pour avoir tenté des choses impossibles. Tel est le danger de l’impôt sur le revenu. Il y a dans les sociétés démocratiques une pente fatale qui conduit à l’impôt progressif ; malgré cela, dans les circonstances actuelles, en raison de nos besoins, qui sont immenses, comme on ne peut pas faire peser tout le poids des charges extraordinaires sur une seule branche des contributions, que d’une part il semble juste de ne rien demander de plus à la contribution foncière, et que de l’autre on ne peut pas atteindre séparément la fortune mobilière, il est difficile de ne pas arriver à un impôt général sur le revenu ; on doit donc le proposer ; seulement il faut ne pas s’en dissimuler les inconvéniens et ne l’établir qu’à titre provisoire, en se réservant toujours de le diminuer ou même de le faire disparaître complètement aussitôt qu’on en aura les moyens.


VII.

Voyons maintenant comment on pourra faire face à nos charges extraordinaires pour l’exercice courant, charges qui résultent à la fois de ce qu’il y aura en moins comme recettes, et en plus comme dépenses. À la perte des 50 millions d’impôts nets environ que payaient chaque année les départemens qu’on nous enlève, il faut ajouter un déficit dans les revenus indirects qui ne sera peut-être pas au-dessous de 200 millions. Nous serons en outre privés de deux douzièmes de l’impôt général de cette année, qui ont été perçus par les Prussiens dans les départemens envahis jusqu’à la conclusion de la paix, soit encore une cinquantaine de millions. Ces sommes réunies forment un total de 300 millions. Nous aurons à payer en outre ce que coûtera cette année l’occupation prussienne, même régulière, dont les effets seront singulièrement aggravés par les derniers événemens de Paris. C’est le moins qu’on l’évalue à 100 millions. Il faudra pourvoir enfin aux intérêts des sommes que nous aurons payées comme indemnités ou empruntées à divers titres, c’est-à-dire de 3 milliards environ ; en les calculant à 5 pour 100,