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dans son Histoire des impôts généraux sur la propriété, l’impôt fut une arme de destruction contre la richesse, et les taxes progressives, succédant aux impôts sur le capital, y sont devenues un instrument de nivellement manié par la passion et l’acharnement des partis, jusqu’au moment où l’abus même du système amena sa destruction complète et son abandon absolu. »

En Hollande, à la fin du dernier siècle, l’impôt sur le revenu devint aussi très vite progressif, comme à Florence ; mais l’expérience y dura moins longtemps. La progression variait entre 1 pour 100 pour les revenus de 300 à 800 florins, et 20 pour 100 pour ceux qui étaient supérieurs à 30,000 florins, et, comme cette taxe se trouvait combinée avec d’autres qui n’étaient guère moins lourdes, le mécontentement fut tel que non-seulement les capitaux émigrèrent, mais que les habitans eux-mêmes quittèrent la république batave pour aller porter leur intelligence et leur industrie dans les pays voisins. Ce que la Hollande perdit à cette émigration de ses capitaux et de ses habitans, il est difficile de l’évaluer. C’est à partir de ce moment qu’elle déchut, et ce fut la ruine de l’importance commerciale qu’elle avait eue jusque-là. L’expérience fut décisive, et aile fut reconnue si désastreuse par tout le monde, que l’impôt sur le revenu, abandonné en 1806, ne put jamais être rétabli. C’est à peine si aujourd’hui il y a dans ce pays une taxe quelconque sur la richesse mobilière, qui pourtant est encore très grande. Ces exemples suffisent pour montrer ce qu’est l’impôt du revenu dans les pays dirigés par l’esprit démocratique.

Il est vrai que l’impôt progressif, auquel il aboutit, ne déplaît pas à tout le monde ; il a même des partisans jusqu’au sein de l’économie politique et parmi les hommes les plus éminens. « Il n’est point déraisonnable, dit Adam Smith, que le riche contribue aux dépenses publiques, non-seulement en proportion de son revenu, mais même pour quelque chose de plus. » A quoi Jean-Baptiste Say ajoute : « J’irai plus loin, et ne craindrai pas de déclarer que l’impôt progressif est seul équitable. » Montesquieu exprime la même idée. Ces autorités sont grandes, et on en pourrait citer d’autres encore. Cependant, lorsqu’on réfléchit profondément à la question, et qu’on se rend compte des tendances actuelles des sociétés, on trouve des raisons décisives pour ne pas se rallier à l’impôt progressif. D’abord ni Montesquieu, ni Adam Smith, ni Jean-Baptiste Say, n’avaient en vue des sociétés démocratiques. Montesquieu s’inspirait de l’Angleterre aristocratique et constitutionnelle, où l’on n’avait pas à craindre l’influence prépondérante des classes ouvrières. Adam Smith avait le même modèle sous les yeux. Enfin Jean-Baptiste Say vivait sous l’empire et la restauration, où l’on était loin de redouter également la prédominance de la démocratie.