Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y a de plus important dans toutes les philosophies et dans toutes les religions ? De qui donc serait-ce la faute, si ces conférences qu’on imagine entre ces deux grands docteurs avaient eu de si pauvres résultats ? Faudrait-il en accuser l’intelligence de Sénèque, ou bien Paul n’aurait-il pas su se faire comprendre ? Est-il possible que l’apôtre en enseignant le christianisme à son élève eût volontairement omis l’essentiel, ou que l’illustre philosophe n’eût retenu de cet enseignement que quelques idées morales dont le sens même paraît lui avoir souvent échappé ? Ce serait vraiment les outrager tous les deux que de le supposer ; il vaut mieux croire que, même s’ils se sont rencontrés, il n’y a jamais eu entre eux aucun échange de doctrines.


III.

Tout n’est pas fini ; il reste à nous rendre compte de ces doctrines de Sénèque qui paraissent ressembler à celles de l’Évangile. S’il ne les tient pas de saint Paul, s’il ne les a pas empruntées au christianisme, d’où lui viennent-elles ? La réponse est facile. On connaît l’admirable fécondité des écoles de la Grèce, et combien elles ont approché par momens de la religion la plus élevée et de la plus pure morale. Sénèque a hérité de toutes ces découvertes ; placé presque au terme de ce grand mouvement philosophique, il en a recueilli les résultats. Sa sagesse est le résumé de dix siècles de recherches et d’études. La plupart des idées qu’on admire chez lui ne lui appartiennent pas ; il les a trouvées chez des philosophes qui vivaient longtemps avant la naissance du Christ. Du reste, il ne cherche pas à s’en attribuer le mérite, et il cite souvent la source où il les a puisées. Il aime à rapporter ses plus belles pensées à Chrysippe, à Cléanthe, à Épicure. Ces jeûnes et ces abstinences qu’il recommande étaient des pratiques pythagoriciennes ; l’habitude d’examiner sa conscience le soir et de faire la recherche de ses fautes lui avait été donnée par son maître Sextius, qui lui-même l’avait prise à l’école de Pythagore. Il en est ainsi de toutes ces grandes idées sur la charité, sur la fraternité, sur l’amour de Dieu et des hommes, qu’il développe si volontiers. On a plusieurs fois montré par des rapprochemens précis, par des citations exactes, que les sages qui l’avaient précédé les avaient souvent exprimées avant lui, et c’est aujourd’hui un travail inutile que de prouver qu’elles étaient des lieux-communs sur lesquels la philosophie vivait depuis des siècles. Il est vrai qu’elles semblent prendre chez lui un caractère nouveau : il sait donner à ses préceptes un accent plus pressant et plus persuasif. C’est un prédicateur de vertu plutôt