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de nos voisins ; il ne fait point partie de leurs principes financiers et n’est jamais admis sans discussion. Même aujourd’hui, où la richesse est grande dans ce pays, où l’on paie facilement toutes les taxes, celle du revenu est la plus contestée, et on s’applique particulièrement à la réduire toutes les fois qu’on en a le moyen. De même qu’elle est appelée à supporter le poids des charges exceptionnelles, de même aussi elle est appelée à profiter la première des excédans de budget.


VI.

Une considération qu’il ne faut pas négliger non plus lorsqu’on veut se rendre compte des effets de l’impôt sur le revenu, c’est la situation politique des pays pour lesquels on le propose. L’Angleterre, la Prusse, qui l’ont adopté, sont surtout des nations aristocratiques, où les classes inférieures de la société n’exercent pas encore une grande influence. Ce genre d’impôt n’y présente point par conséquent les mêmes dangers que dans les pays démocratiques. Dans ceux-ci, il ne reste pas longtemps à un taux modéré. Dès que les besoins de l’état augmentent, c’est à lui qu’on s’adresse pour y faire face ; on n’attend même pas qu’ils augmentent, on le surcharge tout simplement pour opérer tel ou tel dégrèvement contestable au point de vue de l’économie politique, mais toujours excellent au point de vue de la popularité. L’impôt sur le revenu devient le bouc émissaire de toutes les innovations chimériques, de toutes les ambitions politiques. C’est à lui qu’on a recours pour se faire un nom parmi la foule et se rendre les classes ouvrières favorables. Non-seulement on l’accroît sur sa base proportionnelle, mais on le rend bien vite progressif en s’appuyant toujours sur cette idée, qu’étant établi sur le superflu, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il l’atteigne plus ou moins fortement. Pour se convaincre que ce n’est pas là un danger imaginaire, on n’a qu’à interroger l’histoire, qu’à voir ce qui a eu lieu dans les pays qui ont passé par les agitations révolutionnaires, ou qui ont eu des gouvernemens essentiellement démocratiques. À Florence au xve siècle, sous les Médicis, on avait établi un impôt général sur le revenu, appelé catasto. Il s’appliqua d’abord avec une certaine régularité, et il était proportionnel à la fortune, sous le bénéfice de certaines immunités ; il ne tarda pas à changer de caractère, à devenir progressif, et la progression fut telle qu’il s’éleva de 1 à 37 pour 100 selon l’importance des revenus. Il en résulta un profond découragement chez tous les citoyens ; on n’eut plus d’intérêt à travailler pour amasser de la fortune, les capitaux disparurent, et les ressources de la république furent bien vite épuisées. « Par l’influence de l’esprit démocratique, dit M. de Parieu