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de plus à faire, et un effort qui est accompli par 38 millions d’individus amène de grands résultats tout en restant très léger pour chacun. Nous avons l’exemple de peuples qui, placés dans des conditions climatériques moins favorables que d’autres, avec un sol moins fertile, des saisons plus rigoureuses, arrivent cependant à plus de bien-être. À quoi cela tient-il ? À ce que les premiers proportionnent leurs efforts aux difficultés qu’ils ont à vaincre ; ils s’ingénient de toutes les façons pour amasser des capitaux, perfectionner leurs instrumens de travail, et, grâce à leur énergie et à leur prévoyance, ils triomphent des obstacles que la nature avait mis sur leurs pas. L’impôt peut de même exciter l’effort, augmenter la production, et par suite ne rien coûter à la richesse publique, tandis que, si on l’établit préventivement sur le revenu disponible, on paralyse l’effort lui-même ; c’est comme une force motrice dont on diminuerait la puissance.

Il n’y a que deux cas où il soit permis de songer à l’impôt sur le revenu : 1° quand on a épuisé toutes les ressources ordinaires pour combler les déficits du budget, et qu’il faut en créer de nouvelles : l’impôt sur le revenu se présente alors comme un expédient utile ; 2° lorsqu’on veut alléger certaines taxes nuisibles au progrès de la richesse publique, et qu’on a besoin, en attendant la plus-value qui résultera du dégrèvement, de se procurer des recettes provisoires. Dans ces deux cas, l’impôt du revenu a sa raison d’être. L’Angleterre n’y a pas eu recours autrement. Ce fut le grand Pitt qui le proposa le premier pour obtenir les ressources nécessaires à la guerre qu’il soutenait contre la France. L’impôt fut aboli en 1816, et il ne reparut en 1842 que pour rendre possibles les réformes économiques que l’on méditait. L’Angleterre était alors dans une situation critique : elle sentait que le marché du monde allait lui échapper, si elle ne faisait pas un effort considérable pour le conserver. Pour cela, il n’y avait qu’un moyen, c’était de produire à très bon compte, à meilleur marché que les autres peuples ; mais des taxes de consommation fort lourdes, et qui s’étendaient jusqu’aux choses de première nécessité, telles que le pain et la viande, étaient un obstacle : il fallait les réduire, et, comme les réductions devaient mettre momentanément le budget en déficit, on résolut de demander la différence à une taxe sur le revenu. C’est ainsi qu’après avoir été, suivant l’expression de M. Gladstone, une arme de guerre réservée pour les dangers de la patrie, elle est devenue plus tard un grand levier industriel. C’est à ce titre encore, ainsi que les excellens travaux de M. Calmon l’ont du reste parfaitement démontré dans cette Revue[1], que l’income-tax figure au budget

  1. Voyez la Revue du 1er et de 15 novembre 1870.