Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soin de leur dire « qu’il souhaitait avoir ses livres sans employer aucune autorité, et seulement par douceur et par achat ; » mais les intendans voulaient à tout prix le satisfaire, et comme il est de règle que le zèle s’augmente à mesure que les situations s’abaissent, les fonctionnaires inférieurs qu’ils employaient avaient encore moins de scrupules qu’eux. Ils pénétraient dans les maisons religieuses où se conservaient quelques pièces rares, ils éblouissaient les moines par des promesses, ou les intimidaient par des menaces. Un de ces agens va jusqu’à demander un jour une lettre de cachet pour achever de dépouiller les religieux de Saint-Gilles et de Carcassonne ; un autre emprunte des ouvrages qu’on refusait de lui vendre avec la pensée bien arrêtée de ne jamais les rendre, et le même jour il adresse à Baluze « les produits de sa chasse, » en ajoutant ces mots significatifs : « nous devons aller demain au fourrage d’un autre côté. »

Toutes ces conquêtes n’arrivaient pas directement chez Colbert ; Baluze en arrêtait une partie au passage, car il était collectionneur aussi, et, par une sorte de justice distributive, il s’enrichissait aux dépens de Colbert, comme Colbert aux dépens du roi. Disons à la décharge du grand ministre qu’il ne sut probablement jamais les moyens qu’on employait pour lui procurer ces beaux livres qu’il aimait tant, et qu’après tout c’est la France qui a profité de ces rapines. La plupart de ces manuscrits qu’on enlevait ainsi aux chapitres et aux monastères périssaient dans l’abandon. Baluze les sauvait en les prenant. Combien de ceux qui lui ont échappé ont été la proie de la poussière et des rats, tandis que ceux qu’il a donnés à Colbert attirent aujourd’hui à notre grande bibliothèque tous les savans de l’Europe !

Nous n’avons pu donner qu’une idée bien rapide et bien incomplète de l’ouvrage de M. Delisle. Le premier volume, le seul qui ait encore paru, se termine au règne de Louis XVI. La révolution française fit présent à la Bibliothèque nationale de toutes les collections des collèges et des couvens. Elle hérita de tous ces grands établissemens qu’on dépossédait. Plus que jamais, nous avons besoin de savoir d’où provenaient toutes ces richesses dont elle s’accrut en quelques mois. C’est une raison de souhaiter que le travail de M. Delisle ne soit pas interrompu et qu’il s’achève le plus tôt possible.

G. Boissier.


Rome au siècle d’Auguste ou Voyage d’un Gaulois à Rome à l’époque du règne d’Auguste et durant une partie du règne de Tibère, par Ch. Dezobry, troisième édition ; 3 vol. in-8o ; Garnier frères, Paris 1870.


L’ouvrage de M. Dezobry est une encyclopédie méthodique des antiquités de Rome jusqu’à l’époque de l’empire. L’auteur aurait pu se