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fabuleux de la guerre de Troie ou des exploits d’Alexandre et de la légende dorée ; Aristote, Sénèque, Euclide, Boëce, y sont confondus avec l’Art démonstratif de Raymond Lulle, les Moralités du jeu d’échec et de longs traités de chiromancie et de nécromancie. Cette science, on le voit, est bien jeune ; elle prend de toutes mains et ne sait pas choisir ; c’est la renaissance qui lui apprendra l’esprit d’examen et la critique. Malgré ces imperfections, la librairie du Louvre fut alors très utile à ceux qui voulaient apprendre. Le roi usait avec libéralité de ses trésors. Les belles reliures, les enluminures admirables de ses livres, ne l’empêchaient pas de les prêter aux particuliers, aux églises, aux collèges, aux monastères. Par malheur, cette riche bibliothèque ne survécut guère à son fondateur. À la mort de son fils ; elle fut achetée par le duc de Bedfort, qui la dispersa. Des douze cents volumes dont elle se composait, M. Delisle ne pense pas qu’il en subsiste aujourd’hui cinquante.

Quelques-uns des rois qui succédèrent à Charles V aimaient les livres comme lui ; mais les collections qu’ils en formèrent n’avaient rien de durable, elles étaient toujours dissipées à leur mort. Louis XII fut le premier qui tint à conserver fidèlement celles de son prédécesseur ; avec lui, ce principe sembla prévaloir qu’elles étaient non pas le bien personnel du prince, mais une sorte de dépôt public ouvert aux savans de la France et des autres pays. Dès ce moment, la Bibliothèque nationale fut fondée ; elle allait dès lors échapper à tous les changemens de dynastie, à toutes les vicissitudes politiques, et ne cesser jamais de s’accroître jusqu’à nos jours. M. Delisle fait scrupuleusement l’histoire de tous ces accroissemens. Chaque fois qu’une collection nouvelle est acquise, il en recherche l’origine, il en expose autant que possible toutes les richesses. Nous assistons presque année par année aux progrès de la Bibliothèque du roi ; c’est vraiment un être vivant que nous voyons naître et grandir. Elle a dès sa jeunesse des bonnes fortunes tout à fait inattendues. Les guerres d’Italie, désastreuses pour la France, ne profitent qu’à elle, et nos armées vaincues trouvent moyen de lui rapporter de Milan les livres des Visconti et des Sforze. François Ierest pris de la passion des manuscrits grecs ; malgré tous les malheurs de son règne, il ne se lasse pas d’envoyer partout des voyageurs pour en chercher : ses ambassadeurs à Venise ne sont occupés qu’à en recueillir ou à en faire copier. Les guerres religieuses qui suivent la mort d’Henri II sont moins fatales à la Bibliothèque du roi qu’on ne pouvait le craindre. Elle semble ne pas ressentir les désastres de la France. Établie à Blois par Louis XII, transportée à Fontainebleau par François Ier, elle est définitivement installée à Paris vers la fin du règne de Charles IX. Elle y court un moment de grands risques pendant les troubles de la ligue. Le bibliothécaire, Jean Gosselin, raconte naïvement que, ne pouvant espérer arrêter tout seul les ligueurs,