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Aujourd’hui la conclusion de son travail a reçu des faits un démenti ; mais, si l’on applique à l’avenir, dont après tout nous restons les maîtres, ce qu’il disait un peu hardiment d’une situation compromise et qui déjà nous échappait, on peut revendiquer, en les agrandissant encore, les sérieux motifs de confiance que lui suggérait cette comparaison de notre état présent avec nos épreuves passées. Sans doute la frontière est ouverte et le territoire amoindri ; mais qu’on se rappelle pendant combien de siècles notre pays n’a eu pour défense au nord et à l’est qu’une ligne irrégulière, indécise, dominée de toutes parts, inquiétée sans cesse ! Aujourd’hui un ennemi formidable, agrandi par la trahison ou la démence d’une politique anti-française, fier de ses succès et de nos pertes récentes, tient en échec ce que nous gardons de puissance et ce qui peut nous rester d’ambition ; mais la France a brisé autrefois par son énergie habile et patiente un cercle de fer bien plus redoutable encore, l’empire allemand de Charles-Quint, qui, maître de l’Espagne et de la Flandre, dominant l’Italie, couvrant la mer de ses flottes, enfermait dans un blocus continental et maritime le royaume incohérent de François 1er et de Henri III, et tirait des mines du Nouveau-Monde assez d’or pour soudoyer l’Europe contre nous. Dans quelle misère, à la fin du xvie siècle, dans quel affreux désordre les fureurs d’un parti fanatique, tyran de Paris, et la corruption italienne des derniers Valois, inoculée comme un venin au cœur de la nation, n’avaient-elles pas précipité et abîmé la France ! Elle est sortie de cet abîme, et en moins de soixante ans quelques hommes, inspirés de son génie, soutenus de sa vigueur, l’ont portée à ce degré extraordinaire de gloire et de prospérité qui fait encore notre orgueil.

Relever la France de son abattement passager, lui rendre, avec le sentiment de ses profondes ressources, une confiance raisonnée dans un avenir réparateur, quelle œuvre belle et généreuse, accessible à tous, où les plus humbles comme les plus grands sont conviés ; je dirais même quelle œuvre facile, si nous n’avions à craindre d’autre ennemi que l’étranger ! N’importe, et, si fâcheuses que soient certaines apparences, affermissons-nous dans un espoir que le passé tout entier nous garantit, si le présent semble le démentir. N’oublions pas que depuis six siècles l’existence de notre pays, pour qui sait l’étudier et la comprendre, n’est qu’une suite de crises et d’épreuves d’où il est toujours sorti régénéré et fortifié. C’est la loi même qui règle ses destinées, c’est la condition que son génie et son tempérament lui imposent, et peut-être, en dépit des présages contraires, sommes-nous moins éloignés qu’il ne semble du moment où une période nouvelle de prospérité et de grandeur viendra une fois de plus donner raison à cette philosophie de l’histoire de France que les recherches de M. Heinrich nous rappellent à propos.

Charles Aubertin.