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l’ennemi, à quelques lieues des forces navales les plus imposantes, sous le feu même de leurs pièces, un hardi capitaine détruira les navires de commerce et ravagera le littoral, que les escadres seront impuissantes à protéger. — Qu’a fait de moins l’Augusta ? Qu’auraient fait de moins, malgré nos stations impuissantes par le manque de vitesse des navires qui les composaient, les corsaires que les Allemands auraient certainement lancés sur les mers à la poursuite de nos navires, si la guerre s’était prolongée, et lorsque l’expérience de l’Augusta eut éveillé en eux, en leur montrant la voie, cette audacieuse confiance dont ils nous ont donné de si cruels exemples sur terre, mais qui semble, heureusement pour nous, leur avoir manqué sur un élément qui était pour eux l’inconnu ?

Presque nulles pour la protection efficace de notre commerce, dans les conditions actuelles de la pratique maritime, comme l’ont été pendant la guerre de la sécession les 60 navires lancés à la poursuite de l’Alabama et des corsaires du sud, nos flottes de blocus n’ont fait et ne pouvaient faire subir que des pertes insignifiantes à l’ennemi. La plupart de nos prises ont été faites par nos croiseurs isolés, et le nombre en a été fatalement restreint par l’esprit de fausse générosité qui, au début de la guerre, animait tous les courages ; on eût dit que la guerre n’était en effet qu’une simple parade, seulement plus meurtrière que les autres, mais meurtrière uniquement sur les champs de bataille, et pour les combattans patentés. Dès lors, nos stations lointaines, nos croiseurs isolés, ont été paralysés, et le commerce ennemi a été préservé de pertes incalculables. Plus tard, l’occasion avait fui et ne pouvait être retrouvée.

Quand la guerre est dénoncée, la nouvelle n’en éclate pas d’une manière subite, même quand elle est résolue aussi brusquement que celle dont nous venons d’être les tristes victimes. Si jamais esprit de vertige rappelant la fatalité antique, la Némésis vengeresse, a poussé un état à sa ruine, certes c’est celui qui pesait sur la France dans ces journées à jamais néfastes. Et cependant n’y eut-il pas des heures d’incertitude, d’hésitation, semblables à des craintes, et qui furent comme des temps d’arrêt dans cette course aveugle vers l’abîme ? Ces heures, si rapides qu’elles soient, suffisent aujourd’hui, en éveillant les intérêts privés, pour mettre en garde les navires marchands contre les dangers de ces surprises grâce auxquelles jadis l’Angleterre, au début de ses guerres avec l’Espagne ou la France, ruinait en quelques jours le commerce et la fortune de ses ennemies. Avertis par le télégraphe, par la vapeur même, en quelques heures, en quelques jours, partout les navires de commerce s’arrêtent dans les ports neutres ou se hâtent de s’y réfugier. Il faut, pour les décider à s’en écarter, que d’impérieuses nécessités ou les longueurs de la guerre les forcent à braver les périls qui