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les noms de La Hougue, Trafalgar, Aboukir et Copenhague, — grands noms qui tous marquent une ère nouvelle dans la puissance respective des belligérans, et sont comme le coefficient de la valeur effective de la marine d’autrefois ?

La constitution normale de la flotte aux États-Unis avant comme depuis la guerre de la sécession, les discours sur la marine qui viennent tout récemment d’être prononcés dans les chambres anglaises, donnent aux considérations précédentes une sanction irréfutable ; mais la France a vécu jusqu’à ce jour de l’idée que les escadres avaient une valeur décisive, et, comme elle est peut-être entre toutes la nation où les abus et les idées reçues ont l’existence la plus durable, il convient d’essayer une démonstration à fond de la vérité, en répondant successivement aux objections de détail que cette vérité soulève.

En admettant que la force agressive des escadres soit annihilée par l’emploi des torpilles, en tant qu’elles aient à forcer l’entrée d’une rade, là, dira-t-on, ne se borne pas leur rôle ; elles ont encore bien d’autres services plus essentiels à rendre. Maîtresses de la mer, elles bloquent les côtes, les surveillent, arrêtent au passage les navires de commerce, rendent impossible la sortie des croiseurs, tandis qu’elles permettent à une flotte de transport de jeter une armée de débarquement sur le territoire ennemi, diversion puissante d’où peut dépendre l’issue de la guerre. Enfin ces escadres sont essentiellement l’école où se forment les capitaines, les officiers, les matelots d’une marine de combat.

Tout cela était vrai il y a quelques années ; tout cela est faux aujourd’hui. — Le navire de guerre fait pour vaincre, c’est-à-dire, ne l’oublions point, pour faire le plus de mal possible à l’ennemi avec le moins de risques et de dépenses possible, c’est le navire ayant un affût mouvant d’un ou de deux canons, une marche supérieure maximum, et pouvant dès lors, grâce à sa vitesse, éviter tout combat dont le résultat semblerait douteux à son capitaine, — pouvant aussi, grâce à cette vitesse et à ces canons, détruire tout navire marchand qu’il rencontrerait sur sa route. C’est là le navire de l’avenir, — d’un avenir que chacun de nous sent et veut espérer prochain, où la guerre sera ce que nous avons dit, ce qu’elle doit être, et non pas ce que nous avions cru qu’elle serait : un duel chevaleresque entre deux adversaires ayant le même respect pour un code de lois privé de sanction effective, appelé les droits de la guerre. De tels navires remplaceront par la vitesse, par l’ubiquité, la masse de forces concentrées dans les escadres, auxquelles d’ailleurs ils échapperont toujours. Pour eux, — c’est de toute évidence et les faits l’ont prouvé, — il n’y a pas de blocus possible : sur les côtes de