Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaire et ce qu’elle doit être dans l’avenir, montrer par quelles réformes on peut arriver à réaliser des économies qui, sans amoindrir cet élément précieux de notre puissance, aideraient à la délivrance et à la grandeur de notre patrie.


I.

En 1870, la marine française comprenait comme forces effectives divers élémens que l’on peut classer ainsi : les escadres d’évolution, les stations navales, les stations locales et la flotte de transport. Les escadres d’évolution étaient, dans la pensée qui dirigeait alors la marine, le gage de la victoire dans une guerre maritime telle qu’elle apparaissait aux esprits s’inspirant des souvenirs d’un passé à jamais éteint. Le but de toute armée navale, à ces époques plus éloignées de nous par les transformations successives, filles de la science moderne, que par les années, était de dominer sur mer, de bloquer et détruire les ports militaires et les établissemens coloniaux de l’ennemi. Dominer sur mer, bloquer les ports de guerre et les détruire ! Si les expériences de la guerre de la sécession aux États-Unis, si les courses de l’Alabama et de tant d’autres émules du capitaine Summer, n’avaient déjà révélé l’impuissance des flottes de blocus, cette impuissance ne serait-elle pas aujourd’hui démontrée à tous les yeux par les derniers événemens et les croisières de nos escadres ? Les torpilles s’enflammant à la volonté et sur le geste d’un simple guetteur, semées dans les canaux resserrés qui, comme à Jadde, comme à Kiel, comme à Hambourg, comme dans presque tous les ports importans de guerre ou de commerce, conduisent aux établissemens intérieurs, auront désormais toujours raison des flottes les plus formidables, quels que soient d’ailleurs le courage, la science et le dévoûment des officiers et des matelots. Si Jadde, Hambourg, Kiel, n’ont pas été attaqués, ce n’est pas que le courage, la science ou le dévoûment aient manqué à nos amiraux, à nos officiers, à nos marins ; c’est que le simple bon sens empêchait une aussi folle tentative ; c’est qu’aux yeux de tous, quoi qu’on ait pu dire, cette tentative ne pouvait aboutir qu’à la ruine, à la destruction de nos navires, et à l’effusion inutile du sang le plus généreux. L’inaction contre les ports ennemis étant dès lors une conséquence fatale de l’invention, ou plutôt du perfectionnement de ces engins meurtriers d’autant plus redoutables qu’ils sont invisibles et échappent à toute recherche, à quoi servaient ces flottes ? Des privations de tout genre supportées avec une résignation stoïque, une énergie surhumaine, des sommes incalculables dépensées en pure perte, tel est le bilan de ces croisières sur lesquelles l’opinion publique, mal renseignée, a pu compter au début