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pagnons de voyage et le paysan qui nous servait de guide, et nous faisait distinguer chaque centre d’émanations en jetant çà et là des brins de paille, qui prenaient feu à l’instant dans les endroits particulièrement enflammés qui sont comme autant de foyers distincts. Notre curiosité était vivement excitée, et nous ne cessions d’essayer et de sonder pour ainsi dire chaque point, ne nous avançant guère sans avoir fixé la position des jets de feu, qui n’étaient jamais absolument invisibles. Quelquefois nous brûlions nos souliers en nous approchant trop près de l’orifice de sortie d’une flamme ; mais, en regardant ensuite avec plus d’attention, nous ne manquions pas de découvrir le feu que nous n’avions pas d’abord aperçu. Les flammes sont çà et là éparses et disséminées dans un espace de quelques toises, sur un terrain découvert, aride et un peu pierreux ; on les rencontre notamment sur les points les plus secs. Quelquefois elles changent de place, plus souvent encore de volume, tantôt en largeur et tantôt en hauteur. Ici, elles gagnent du terrain, et plusieurs se réunissent ensemble ; là, elles se retirent, se séparent : quelques-unes peuvent disparaître et d’autres grandir au gré des assistans. Pour éteindre les plus petites, il suffit de produire un vent fort, et, quant à celles qui sont plus étendues, il faut, pour les faire disparaître, verser assez d’eau pour couvrir tout le champ du dégagement. On peut encore accumuler de la terre, la piétiner, la comprimer, de manière que le passage du gaz sous-jacent ne s’opère plus facilement. Le gaz retenu ainsi sort en plus grande quantité par d’autres orifices voisins, et y forme autant de foyers où la flamme s’élève plus haut. En somme, à mesure que quelques jets sont supprimés, l’activité des autres augmente. Je restai longtemps à répéter, à varier ces épreuves, prenant surtout plaisir à faire jaillir la flamme plus haut à diverses reprises en battant des pieds et en pesant sur le sol autour de quelques-uns des jets… Afin de rendre plus sensible encore le dégagement d’air inflammable dont je supposais l’existence sur le terrain en question, je m’avisai de répandre des brins de paille sur les points où la terre me paraissait plus légère et soulevée, particulièrement aux endroits où j’avais un moment auparavant éteint la flamme en produisant un vent fort ; j’eus la satisfaction de voir ces fragmens de paillé et autres menus objets secoués et entraînés par le souille de l’air qui sortait du sol. Il ne me restait plus pour complément de preuve qu’à recueillir cet air même, et à voir s’il était réellement susceptible de brûler. À cette fin, je fis creuser de petites excavations précisément dans les lieux, occupés par les flammes, et, en les remplissant d’eau, le feu se trouva naturellement éteint. On vit alors, comme je l’avais prédit, jaillir de nombreuses bulles de gaz ;