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amour de Néron. Délaissée plus tard, elle ne perdit pas le souvenir de celui qui l’avait un moment aimée ; quand il eut été forcé de se tuer, elle chercha son cadavre, dont tout le monde s’éloignait, pour lui donner une sépulture honorable. Cette conduite dénote une nature qui n’était pas vulgaire, et, en la voyant si dévouée au malheur, on se sent quelque penchant à croire que c’est bien celle dont Chrysostome a voulu parler. Or Acté était personnellement connue de Sénèque : Tacite raconte que le philosophe avait aidé ses amours avec Néron, afin d’arracher le jeune prince à la fâcheuse influence de sa mère. Un de ses disciples, son parent peut-être, Annæus Serenus, officier des vigiles, pour favoriser ce commerce et le dissimuler à l’impératrice, feignit d’être l’amant d’Acté ; de cette façon, elle paraissait tenir de lui les cadeaux qu’elle recevait de l’empereur. Que de circonstances diverses qui semblaient mettre saint Paul sur le chemin de Sénèque ! Est-il surprenant que, placés sans cesse dans le voisinage l’un de l’autre, ils se soient un jour rencontrés ? et, s’ils ont pu s’entretenir, peut-on admettre qu’ils se soient méconnus, qu’ils n’aient pas compris du premier coup l’affinité de leurs opinions ? Comment deux esprits de cette trempe n’auraient-ils pas éprouvé en s’abordant un attrait mutuel qui les engageât à se connaître davantage ? Ces conjectures paraissent si vraisemblables que, lorsqu’à la fin de l’Epître aux Philippiens on lit ces mots : « les frères qui sont dans la maison de césar vous saluent, » on se demande si parmi ces chrétiens du palais impérial il ne faut pas mettre d’abord l’homme illustre qui fut le précepteur et le ministre de Néron.

Ceux qui sont contraires à ces affirmations répondent que par ces mots : « les frères qui sont dans la maison de césar, » il faut uniquement entendre des affranchis ou des esclaves. Cette expression servait à Rome pour désigner la domesticité des grands seigneurs ; elle ne pouvait convenir à un sénateur, à un consulaire, comme Sénèque. C’est seulement à la fin de l’empire qu’on imagina de faire des offices intérieurs d’un palais des charges de l’état, et que de grands personnages s’honorèrent d’être appelés comtes des domestiques ou ministres de la chambre sacrée ; au premier siècle, ces titres auraient été regardés comme un outrage ; « les gens de la maison de césar » ne pouvaient être alors que ces innombrables esclaves ou affranchis qui remplissaient les palais impériaux. C’était un monde confus dans lequel on trouvait des hommes de tout métier, de toute origine et de toute croyance. On sait que, du temps de Néron, plusieurs d’entre eux étaient Juifs de naissance ou de doctrine, et c’est certainement parmi ceux-là que saint Paul propagea l’Évangile. On voit donc que dans l’Epître aux Philippiens