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tions, même les plus pauvres, un intérêt majeur à être affranchi de l’impôt du sel, qui en revanche est pour le trésor une source de revenu très productive.

Un raisonnement pareil s’applique à la plupart des autres taxes de consommation, même à celles de l’octroi, qui, lorsqu’elles sont modérées, sont encore la meilleure manière pour les communes de se procurer des ressources. On avait essayé il y a quelques années, pour activer la consommation, de réduire les droits sur le café, le thé, le cacao ; on les avait abaissés de moitié, de 1 franc par kilogr. à 50 cent. Malgré cela, la consommation ne s’est pas développée davantage, et ç’a été un motif déterminant pour les relever et les remettre à l’ancien taux au moment de la guerre. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Parce que ces denrées se consomment encore par fractions minimes, et que le droit a beau être fort, on le sent très peu. Qui trouvera trop lourd de payer au fisc 1 centime par tasse de thé et 2 centimes par tasse de café, ce qui, à raison de 1 franc par kilogramme, est tout au plus la part du trésor dans le prix de la denrée ? Il est évident qu’il n’y a pas là matière à considération, et que ce droit, réduit même de moitié, ne devait exercer aucun effet sur la consommation. C’est aussi ce qui a lieu pour le gros impôt que tout le monde trouve naturel de payer, et qui cependant figure pour les quatre cinquièmes au moins dans le prix du produit qu’il frappe. Il s’agit de l’impôt du tabac. Cet impôt rapporte aujourd’hui 254 millions, et les trois quarts au moins de cette somme sont fournis par le tabac le plus ordinaire. Pourquoi le paie-t-on si aisément ? Parce qu’en définitive, lorsqu’on arrive au détail, à la pipe ou à la prise de tabac, on ne s’aperçoit guère de ce qui revient au fisc, et comme on se procure une jouissance dont on pourrait se passer, on n’a pas l’idée de se plaindre. Les dégrèvemens qu’on opère sur les taxes de consommation ne profitent jamais à ceux qu’on voudrait favoriser ; on agit dans l’intérêt du consommateur, et c’est l’intermédiaire qui bénéficie. Cette expérience a été faite maintes fois, et elle a toujours donné les mêmes résultats. En 1830, quand on réduisit momentanément à Paris les droits d’entrée sur le vin de 23 fr. 10 cent à 17 fr. 60 l’hectolitre, et dans les départemens le droit de détail de 15 à 10 pour 100, cela ne changea rien aux prix. En 1848, le gouvernement provisoire, sous la pression d’une certaine partie de l’opinion et pour faire de la popularité, supprima le droit d’entrée sur la viande à Paris, droit qui était de 10 centimes par kilogr. Il semblait qu’à cette époque où la richesse n’était pas grande, où chacun avait besoin de ménager ses ressources, de payer le moins possible, le consommateur dût bénéficier de ce dégrèvement. Il n’en fut rien. Les prix restèrent les mêmes,