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des imprudences, et porter atteinte pour longtemps à notre crédit. Il faut laisser la porte ouverte aux améliorations qui pourront survenir. Les Américains ont imaginé pour cela un moyen qui est excellent, et que nous devrions adopter. Ils ont emprunté les plus grosses sommes en bons dits 5-20, c’est-à-dire remboursables entre cinq et vingt ans, à la volonté de l’état. De cette façon, si leur crédit s’élève, ils sont en mesure d’en profiter ; ils peuvent proposer à leurs créanciers ou une réduction d’intérêt, ou le remboursement du capital, en empruntant à d’autres à de meilleures conditions. Nous devons faire de même, emprunter aussi sinon en bons 5-20, au moins de 10-25 ou 30, c’est-à-dire remboursables après dix ans, jusqu’à vingt-cinq ou trente ans. Nous serons ainsi maîtres de la situation, et, si elle devient plus favorable, il nous sera possible d’alléger nos charges.

Il est difficile d’indiquer à quel taux on obtiendra le premier milliard à donner aux Prussiens. Aujourd’hui plus que jamais, les finances sont étroitement liées à la politique, et elles s’améliorent en raison directe de la confiance que celle-ci inspire. Que demain les perspectives de notre horizon s’éclaircissent, qu’on voie reprendre les affaires, renaître la vie commerciale, et immédiatement notre crédit, qui est à près de 6 pour 100, peut remonter d’un seul bond jusqu’à 5 pour 100 ; nous trouverons alors facilement ce premier milliard, tous les capitalistes seront empressés de nous l’offrir, et même plus ; mais il ne suffit point pour cela que l’ordre règne dans la politique, il faut qu’il règne aussi dans les finances, fût-ce au prix des plus durs sacrifices. Le règlement de nos propres frais de guerre, quelque onéreux qu’il soit, ne sera pas difficile. En dehors des emprunts déjà réalisés, il n’est aucun de ceux qui auront droit à une indemnité qui refuse d’en accepter le montant en annuités sur le pied de 5 pour 100. Restera le budget actuel à mettre en équilibre ; ce sera moins facile. Nous allons avoir en moins comme recette 50 millions environ que nous apportaient chaque année les belles provinces très riches, très industrieuses, qu’on nous ravit. Nous aurons encore en moins tout ce qui va manquer aux revenus indirects de cette année, selon les prévisions budgétaires, et il nous faudra en plus comme dépense pourvoir à la nourriture et à l’entretien de 50,000 Prussiens en Champagne. On aura beau faire des économies notables sur la liste civile de l’empereur et de sa maison, sur la dotation du sénat, des économies plus considérables encore sur les ministères de la guerre et de la marine, dont les dépenses prodigieuses jusqu’à ce jour nous ont, hélas ! si mal servi, on peut s’attendre à un déficit énorme. Il eût été plus régulier de chercher à le combler au moyen d’impositions extraordinaires ; mais, je le répète, la France a besoin de reprendre haleine