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symptômes d’inquiétude parmi les confidens de l’état-major ; les fronts étaient soucieux, les consignes plus sévères, l’arrogance moins insultante. Des marchés passés pour les fournitures de farine et d’avoine avaient été suspendus ; des détachemens de cavalerie et d’artillerie partaient à la hâte. Bientôt les craintes se trahirent par des signes plus certains ; les officiers et les soldats logés chez l’habitant reçurent l’ordre de coucher tout habillés ; les fourgons qui avaient joué un rôle si actif dans le déménagement du 21 octobre reparurent et se remplirent de nouveau. Ces innombrables chariots, qui dans une retraite auraient encombré les chemins et causé la perte de l’armée prussienne, s’écoulèrent en longues files par la route de Saint-Germain.

Le 12 novembre, des bruits, vagues d’abord, mais confirmés bientôt par des renseignemens précis, nous apprirent l’évacuation d’Orléans et la défaite du corps d’armée bavarois. Pour la première fois, la fortune se lassait de nous accabler et semblait nous offrir l’occasion de réparer en un jour trois mois de désastres. Le 10 novembre, le gros de l’armée de la Loire était à cinq marches de Paris : le corps du général von der Thann pouvait être coupé et détruit, celui du grand-duc de Mecklembourg était dispersé entre Dreux et Chartres ; les troupes que le prince Frédéric-Charles amenait de Metz, et qui se composaient des 3e, 9e et 10e corps, ne pouvaient entrer en ligne avant le 18 novembre. Le 2e corps, attaché à l’armée du prince royal et expédié par les voies rapides, arrivait à peine : une de ses divisions avait été portée à marches forcées sur Étampes et Toury. L’armée de siège était réduite d’un quart par les maladies. La confiance de l’ennemi, un moment relevée par la capitulation de Metz, s’ébranlait de nouveau : les soldats, pleins de sombres pressentimens, écrivaient en Allemagne que Paris serait leur tombeau. Si l’armée de Paris, après avoir écrasé sous le feu des forts et de la redoute des Hautes-Bruyères les positions de L’Hay, de Chevilly et de Thiais, seules défenses du plateau qui domine la Seine, débouchait dans la plaine et réussissait à couper les ponts de Villeneuve-Saint-George, il ne restait à l’état-major prussien d’autres ressources que de lever le blocus de la rive gauche, et de risquer avec 100,000 hommes une bataille désespérée, pendant que les corps du général von der Thann et du grand-duc de Mecklembourg disputeraient pied à pied la route d’Orléans. L’exécution de ce plan était-elle possible ? L’avenir le dira peut-être ; mais l’armée prussienne le craignait. Les Allemands n’oseraient le nier devant ceux qui ont été témoins de leur agitation, de leurs inquiétudes, de leurs continuelles alertes, au moindre symptôme qui pouvait faire redouter une sortie. Les jours se passèrent : Pa-