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achevée à loisir, comme celle de Meudon, par la torche des incendiaires, qui brûlaient pour avoir le droit de nier le pillage. Que tel correspondant du Times, admirateur de la réserve et de la modération germaniques, demande au préfet de police, M. Stieber, dans quel fourgon sont partis pour la Prusse la pendule, les vases et les statues de l’appartement qu’il occupait sur le boulevard du Roi ; qu’il demande à M. de Bismarck pourquoi la pendule de son salon de la rue de Provence est veuve du sujet qui en faisait le prix, et que le propriétaire avait refusé de lui donner ou de lui vendre. Qu’il ouvre une enquête sur le sort du service damassé prêté par la ville de Versailles à son excellence le chancelier de l’empire d’Allemagne, et qu’on n’a plus retrouvé après son départ. Qu’il s’informe, lui qui n’a jamais vu dans les rues un soldat allemand en état d’ivresse, par quelles mains un capitaine blessé et prisonnier, M. Ritouret, a été roué de coups à deux pas d’un poste. Qu’il aille vanter la sobriété prussienne à ce chef d’ambulance bien connu à Versailles, M. Roche, qui, attaqué par toute une escouade, frappé par derrière et sans provocation, jeté sanglant sur le pavé, a vu les autorités militaires lui refuser justice, et nier l’agression dont il porte encore les traces. C’est la guerre ! répondront les docteurs en droit des gens de l’université de Berlin. Oui, c’est la guerre allemande ; mais la guerre ainsi comprise est un opprobre pour le monde civilisé, qui n’a pas osé protester, et une leçon pour ceux qui se flattaient de concilier les nécessités de la lutte avec les lois de l’humanité.


III.

Les derniers jours de septembre et les premiers jours d’octobre avaient été remplis par le pillage et par l’exécution des travaux de défense. Le bruit de violentes canonnades parties des forts faisait parfois espérer que Paris se réveillait et allait prendre l’offensive ; on savait qu’un heureux coup de main nous avait rendu la redoute des Hautes-Bruyères, ce Mont-Valérien du sud qui dominait si fièrement les positions des Bavarois et du 6e corps. L’ennemi avait paru troublé de cette revanche de Châtillon ; mais il ne tarda pas à se rassurer. Les Allemands craignaient peu nos reconnaissances qui, disaient-ils, atteignaient rarement la ligne de leurs avant-postes, et se riaient de nos projectiles semés avec tant de prodigalité dans les champs et dans les bois. On aimait cependant le bruit du canon comme le son d’une voix amie. Quand il se taisait, les jours nous paraissaient plus longs et les nuits plus tristes. On saluait avec plus de joie encore le passage des ballons, surtout quand on