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II.

Toutes ces dispositions étaient arrêtées, quand le roi et le quartier-général vinrent s’installer à Versailles, où ils firent leur entrée le 5 octobre. Nous ignorons quelle part il faut attribuer dans cette décision à l’orgueil germanique, jaloux d’humilier l’ombre de Louis XIV ; mais les raisons militaires se trouvaient d’accord avec les calculs de la vanité. Sans doute Versailles n’est pas et ne saurait être une forteresse, et les Allemands durent être fort surpris en lisant dans les journaux de Paris la formidable description du mur d’enceinte dont on avait entouré la ville et des ouvrages imprenables qu’y avait élevés l’imagination de nos journalistes ; mais il était impossible de choisir dans les environs de Paris un séjour plus salubre, plus agréable, offrant plus de ressources et en même temps plus sûr. Les routes qui viennent y aboutir de Paris, encaissées dans des gorges profondes ou gravissant les flancs de plateaux escarpés, avaient été fortifiées avec un soin tout particulier et rendues à peu près impraticables. Une attaque sur Versailles par Sèvres, Ville-d’Avray ou Bougival eût été une folie que l’assaillant aurait payée cher. Même en cas d’échec, la retraite était facile, soit vers le nord, par Saint-Germain et Poissy, soit vers l’est, par Villeneuve-Saint-George ou Corbeil.

On songeait, dit-on, à donner le château de Louis XIV pour habitation au futur empereur d’Allemagne ; mais, par une inspiration heureuse, l’administration du palais et la Société de secours aux blessés avaient mis dès le 15 septembre les salles basses du château à la disposition de M. Vandevelde, délégué de la Société hollandaise, et avaient installé dans cette ambulance improvisée deux hôtes que les rois mêmes respectent : le typhus et les fièvres d’Afrique, apportées à l’hôpital militaire par quelques-uns de nos soldats. Les Allemands, moins soucieux de la vie de leurs blessés que de celle de leur monarque, les entassèrent dans les galeries du palais, qui devint un vaste hôpital. Le roi se contenta de la préfecture ; le prince royal, qui l’occupait depuis le 20 septembre, alla habiter à la porte de Buc une propriété connue sous le nom des Ombrages. M. de Moltke et son état-major envahirent un hôtel de la rue Neuve, et M. de Bismarck s’établit dans la rue de Provence.

Le séjour de ces hauts personnages et l’arrivée d’une nuée de princes, de généraux, d’aides-de-camp, qui s’abattit à leur suite sur la ville, remplirent d’un mouvement inaccoutumé les rues d’ordinaire si calmes et les allées silencieuses du parc ; mais la population resta sourde à leurs avances : les concerts prodigués par la