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C’était une entreprise hardie de bloquer avec ces 200,000 soldats 600,000 hommes en état de combattre. Les Allemands le sentaient eux-mêmes, et, malgré leur réserve ordinaire et la confiance que leur inspiraient leurs chefs, ils laissaient parfois échapper de singuliers aveux. Quelques jours après la bataille de Champigny, un personnage haut placé lisait dans un journal de Paris le récit de l’affaire : les pertes des Prussiens, fort exagérées, y étaient portées à 25,000 hommes. « Vingt-cinq mille hommes ! s’écria-t-il, quelle impudence ! Est-ce que nous aurions le moyen de les perdre ? » Il fallait suppléer au nombre par la science : l’état-major s’acquitta de cette tâche avec une remarquable habileté. La ligne extrême des avant-postes prussiens occupait autour de Paris une circonférence d’environ 120 kilomètres ; 10,000 hommes suffisaient à la garder, et ce chiffre permettait d’échelonner au besoin les sentinelles avancées de 50 mètres en 50 mètres et de les relever plusieurs fois par jour. Derrière ce rideau de tirailleurs, 80,000 hommes, postés dans les villages les plus voisins des forts, mais autant que possible à l’abri de leur feu, se tenaient prêts à se porter sur les positions défensives étudiées et désignées d’avancé. Le reste de l’armée, placé en seconde ligne, se reposait en attendant son tour de service, et pouvait en quelques heures accourir au secours de la première. La landwehr, qui occupait les cantonnemens les plus éloignés de Paris, et qui ne paraissait jamais aux avant-postes, formait une dernière réserve que l’on ménageait, et qui ne marchait que dans les grandes occasions. Chacun des corps resta jusqu’à la fin du siège dans les positions qui lui avaient été assignées dès le début : le quatrième sur la rive droite de la Seine entre Chatou et Épinay, — la garde royale et les Saxons du 12e corps dans la plaine qui s’étend au nord de Saint-Denis, dans la forêt de Bondy et sur les plateaux de la rive droite de la Marne, — les Wurtembergeois sur les plateaux de la rive gauche entre Noisy-le-Grand et Chennevières, — le 6e corps sur les deux rives de la Seine, observant la boucle de Marne, la plaine d’Alfort et les hauteurs de Villejuif, — le 2e corps bavarois sur les deux versans de la vallée de la Bièvre et sur les plateaux de Châtillon ; — la 21e division du 11e corps à Versailles, sur la route de Paris jusqu’au pont de Sèvres et dans les bois qui couronnent les hauteurs de Meudon et de Ville-d’Avray ; — le 5e corps enfin dans cette région si pittoresque et si accidentée comprise entre Saint-Cloud, la Malmaison, Port-Marly, Rocquencourt et Vaucresson. Toutefois ce réseau si habilement tendu était trop vaste pour que les mailles en fussent bien serrées ; il fallait à l’état-major prussien six ou huit heures pour concentrer sur un point quelconque une force de 40, 000 hommes, et vingt-quatre