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tion d’algèbre. Il est même douteux que, malgré la discipline, l’exemple des officiers eût suffi à entraîner l’armée dans une de ces aventures où se lance si volontiers l’ardeur insouciante du Français. Pour le soldat allemand, ce grand Paris qu’il entrevoyait de loin derrière sa ceinture de forts et de bastions, c’était l’inconnu plein de menaces et de vagues terreurs, — torpilles éclatant sous les pas des combattans, pétrole enflammé pleuvant sur leurs têtes, engins mystérieux lançant à jet continu les grenades et la mitraille.

Il est vrai que le blocus d’une ville immense, renfermant dans ses murs près de 600,000 hommes armés, était une opération étrange et unique dans les annales de la guerre ; mais les généraux prussiens étaient convaincus que la seule troupe en état de tenir la campagne et de risquer une attaque sérieuse contre leurs lignes était l’armée régulière qu’ils avaient battue à Châtillon, et qui, d’après leurs calculs, ne dépassait pas 50,000 hommes. Quant à la garde mobile et à la garde nationale, ils n’en tenaient aucun compte ; c’était à leurs yeux une cohue mal armée, incapable de discipline, bonne tout au plus à défendre un rempart, et plus dangereuse pour ses chefs que pour l’ennemi. Le problème se réduisait donc à occuper fortement autour de Paris des positions défensives, à serrer la ville d’assez près pour empêcher tout ravitaillement et toute communication avec le dehors, à la laisser se consumer d’angoisses et d’ennui, et à attendre que la révolution ou la famine vinssent ouvrir les portes qu’on n’osait pas enfoncer à coups de canon.

Malheureusement la nature du terrain ne servait que trop bien la tactique prussienne. Paris est situé au fond d’un vaste bassin qu’entoure une chaîne de collines pour la plupart boisées et semées de villages, de maisons de campagne, de clôtures faciles à transformer en ouvrages défensifs. À l’est, sur la rive droite de la Marne, les plateaux d’Avron et de Gagny, au sud et au sud-ouest, sur la rive gauche de la Seine, les hauteurs de Villejuif et de Châtillon, les escarpemens de Meudon, de Sèvres et de Saint-Cloud, dominent les forts détachés et l’enceinte, et s’en rapprochent assez pour permettre à la nouvelle artillerie d’écraser de son feu tous les ouvrages extérieurs et une partie de la ville. Au sud-est et à l’ouest, Paris est couvert par les replis de la Marne et de la Seine ; mais cette défense naturelle est en même temps un obstacle à toute opération offensive de l’assiégé contre un ennemi maître des hauteurs qui bordent la rive opposée. Enfin au nord, entre la route de Dunkerque et celle de Metz, s’ouvre une large plaine balayée par le feu des forts, mais où les villages de Pierrefitte, de Stains, de Dugny, du Bourget, de Drancy, peuvent offrir à l’assaillant un formidable point d’appui, si l’assiégé les néglige ou se les laisse enlever.