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tous les savans. » Quant à Schlaeger, la guerre elle-même ne pouvait attrister sa sérénité ; il la regardait comme un fléau qui passe, et attendait patiemment de meilleurs jours. Rien n’est plus touchant que la dernière lettre qu’il écrivit à Séguier avant sa mort. Comme elle avait été précédée d’un silence de plusieurs années, Schlaeger éprouve le besoin d’y faire une sorte de revue de toute sa vie. Il se félicite qu’elle se soit écoulée dans le calme et la paix ; il n’a ressenti que les malheurs auxquels il n’est pas possible d’échapper. Sa famille continue à se bien porter. Sa femme est toujours en bonne santé et conserve sa belle humeur. Sa fille l’a fait grand-père de deux garçons et d’autant de filles qui le réjouissent par leur gaîté. Son gendre, grand amateur de médailles comme lui et qu’il a choisi selon ses goûts, travaille à ses côtés et complète la bibliothèque numismatique, qui est bien près d’être achevée. Quant à lui, ses heures, ses jours et ses années s’écoulent dans un certain repos actif et sans bruit. « Cependant il ne peut plus compter pour longtemps sur ce bonheur. Il a plus de soixante-dix ans, et son âge lui rappelle à chaque moment la sentence d’Horace : vitæ summa brevis spem vetat inchoare longam. Ce dernier jour, qui approche, ne l’effraie pas. « J’y songe, dit-il, mais à la manière de la défunte électrice Sophie, mère de mon pays de Hanovre, qui avait pris pour devise : senza turbarmi al fin m’ accosto. » Voilà les sentimens d’un sage, et l’on ne peut s’empêcher en lisant cette lettre de songer au portrait que Pline trace des gens d’études, race d’hommes, dit-il, la plus naïve, la meilleure, la plus honnête qu’on puisse voir.


III.

Après la mort de Maffei, en 1755, Séguier revint se fixer à Nîmes, et n’en sortit plus. Ses lettres prennent, à partir de ce moment, un intérêt particulier pour nous. Le nombre de ses correspondans français augmenta naturellement quand il fut en France. Tous les savans, tous les curieux de la province et beaucoup de ceux de Paris lui écrivaient sans cesse pour le consulter. De tous côtés, il lui arrivait des lettres auxquelles il répondait avec un soin scrupuleux. Tel était son zèle pour la science, que tous ceux qui s’en occupaient, en quelque ville éloignée que ce fût, devenaient aussitôt ses amis, et qu’il leur savait gré de leurs travaux comme s’il devait en profiter lui-même. Toutes les fois qu’on lui demandait un renseignement, il répondait par une dissertation. Il revoyait, corrigeait et refaisait quelquefois les mémoires qu’on lui soumettait. Pour satisfaire ses correspondans, il négligeait ses propres études, et, s’il les charmait par sa complaisance, il ne les étonnait pas moins par