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à Nîmes, et dont il voulait faire cadeau à sa femme. Le bon Schlaeger insistait pour qu’on les envoyât le plus tôt possible, « l’amour du sexe pour la parure ne souffrant pas de long délai. » L’autre était un physicien et un astronome de Wittemberg, Bose, qui fut associé de notre Académie des Sciences. Celui-là tout au contraire, grand batailleur, n’était pas fâché de railler quelquefois ses collègues. Il pensait librement sur les choses religieuses, et il avait composé sur l’obélisque de Sésostris un petit traité qui scandalisa, on ne sait comment, la faculté de théologie. Il se représente « comme un pauvre professeur laïque qu’on traite de Samaritain, de renégat, ou tout au moins d’hérétique, parce qu’il estime la vertu partout où il la trouve. » La fin de sa vie fut très troublée, et il se heurta, malheureusement pour lui, à d’autres colères qu’à celles des théologiens. Pendant que se livraient dans les écoles de Wittemberg ces querelles innocentes, la guerre éclata entre la Saxe et la Prusse. Les études paisibles furent subitement interrompues. « Nos pauvres amis, écrivait Schlaeger, MM. Ludwig et Bose, sont infiniment à plaindre. Pendant quatorze mois, ils ont senti vivement et continuellement tous les maux possibles sans recevoir un sou de leurs appointemens. M. Ludwig, étant médecin renommé, gagne assez pour vivre à son aise ; mais M. Bose ne fait qu’observer les astres, qui ne donnent rien à leurs adorateurs. Cela ne l’empêche pas d’être toujours le même, c’est-à-dire fort gai et enflammé de courroux contre les ennemis de sa patrie. » Ce courroux lui coûta cher. Voici comment Schlaeger raconte sa mort à Séguier ; elle est un curieux exemple de la façon dont Frédéric II traitait les gens qui lui avaient déplu. « Notre bon ami M. Bose n’existe plus, et il a fait une triste fin. Comme il aimait fort la Saxe, sa patrie, et que de son naturel il était très caustique, il ne laissait échapper aucune occasion de critiquer en termes amers le roi de Prusse et ses alliés. Il y a environ un an et demi qu’on intercepta une de ses lettres, ce qui fut cause qu’on l’arrêta, quoiqu’il fût alors recteur de l’académie de Wittemberg, et comme parmi ses papiers on trouva une chronique assez mordante de la présente guerre, il fut conduit par ordre du roi de Prusse dans la citadelle de Magdebourg. Là il a passé son temps à traduire plusieurs mathématiciens grecs, jusqu’à ce qu’il eût perdu dans le bombardement de Wittemberg sa nombreuse et belle bibliothèque avec tous ses instrumens de mathématique et de physique expérimentale. La perte de ces deux collections, qui faisaient ses délices et auxquelles il avait consacré tout son bien, l’affligea si fort qu’il ne l’a pu soutenir. Il tomba malade d’âme et de corps, et la mort s’en est suivie. Assurément, monsieur, nous avons perdu un bon et serviable ami dont l’érudition était reconnue de