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observait le ciel, voulaient le rendre responsable des orages qui ravageaient la contrée et délibérèrent un jour de le tuer. À Volterra, où il avait voulu enlever la nuit une pétrification qu’il avait remarquée dans la partie antique des murailles, les magistrats le soupçonnèrent d’avoir des intentions hostiles contre la ville, et le mirent en prison. Une autre fois, ayant trouvé une espèce de champignon qu’il n’avait pas encore vue, il eut l’imprudence d’en goûter pour en connaître les propriétés, et tomba presque aussitôt privé de sentiment. « C’en était fait de sa vie, dit Dacier, si des paysannes accourues à son secours ne lui eussent fait avaler de l’huile d’une lampe qui brûlait devant une madone, et qui avait dans le pays la réputation de guérir les maux les plus incurables. On ne pouvait heureusement lui administrer un meilleur remède. Cette huile grasse et rance débarrassa en un instant son estomac du fatal champignon, et sa guérison, toute naturelle, fut ajoutée à la longue liste des miracles opérés par cette lampe merveilleuse. » C’est au retour de ses courses qu’il écrivit son Traité sur les plantes de Vérone et sa Bibliothèque botanique, ouvrage aujourd’hui délaissé, mais qui à cette époque fut bien accueilli des savans. Réaumur, en le présentant à l’Académie des Sciences, demanda et obtint pour son auteur le titre de correspondant, et Linné, dont Séguier avait relevé quelques erreurs, loin de se plaindre, l’en remercia modestement, et dès lors l’appela son maître.

Ce qui occupait Séguier encore plus que tout le reste, c’est que Maffei, se sentant vieillir, l’avait chargé de sa correspondance ; elle était fort étendue. Pour le compte du marquis ou pour le sien, Séguier entretenait des rapports avec toute l’Europe savante. On pourrait tirer de ces lettres, où tant d’hommes distingués se montrent à découvert, plusieurs portraits curieux, mais ce serait se jeter dans des détails infinis et étendre ce travail outre mesure. Je ne puis pourtant m’empêcher d’indiquer au passage quelques traits de deux bonnes figures allemandes dont les ressemblances et les contrastes me paraissent bien montrer les phases diverses de la vie qu’on menait alors dans ces vieilles villes d’études. L’un de ces correspondans était un célèbre numismate de Gotha, Schlaeger, qui s’occupait à réunir les élémens de la bibliothèque numismatique la plus complète du monde. Homme excellent, satisfait de tout, prenant le temps comme il venait, oubliant les ennuis et les mécomptes quand il était avec ses livres et ses médailles, il adorait les siens, et nous ne pouvons nous empêcher de sourire quand nous le voyons dans ses lettres s’interrompre, au milieu des plus graves dissertations sur les monnaies consulaires ou impériales, pour demander à Séguier quelques aunes de ces belles étoffes de soie qu’on fabriquait