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la vie des gens de lettres. Maffei se lia surtout avec la marquise de Verteillac, qui réunissait chez elle beaucoup de personnes d’esprit parmi lesquelles Rémond de Saint-Mard, l’académicien Burigny et Saint-Hyacinthe, le spirituel auteur du Chef-d’œuvre d’un inconnu. Mme de Verteillac était la fille d’un brave gentilhomme que Louis XIV appelait « le meilleur officier-général d’infanterie qu’il eût eu depuis M. de Turenne. » Elle avait été l’une des premières femmes de ce siècle qui se fût avisée d’apprendre les sciences exactes. Les succès qu’elle y obtint attirèrent de bonne heure les yeux sur elle ; les contemporains prétendent qu’elle savait en parler avec une netteté d’esprit et une profondeur incroyables. L’aridité de ces études ne nuisit point à ses qualités de femme du monde. « On ne pouvait la voir, dit Burigny, sans désirer d’avoir part à son amitié. Une égalité constante, que l’on peut regarder comme le propre caractère de la sagesse, rendait sa société délicieuse. Toutes les fois que ses amis la revoyaient, elle sentait et leur communiquait une joie douce et charmante, et ce n’était jamais qu’avec peine qu’on se séparait d’elle. » Le salon de Mme  de Verteillac était, comme nous dirions aujourd’hui, conservateur ; on y respectait l’autorité et l’on n’y causait que de matières permises. La présence du marquis Maffei, grand partisan des vers non rimés, y amena des discussions sans fin sur la rime, et Saint-Hyacinthe, pour prouver qu’on pouvait s’en passer même en français, commença la traduction de Mérope en vers blancs. On y traitait aussi la question délicate de l’utilité des règles pour les ouvrages de l’esprit ; Rémond de Saint-Mard leur était contraire, et il essaya de prouver dans une lettre qui fut rendue publique qu’elles ne servent pas à grand’chose. « Qu’on ait par exemple un récit à faire, disait-il ; croyez-vous qu’on soit très avancé d’avoir lu dans Horace qu’il faut courir à l’événement ? S’il y a mille cas où il faut courir, il y en a mille autres où la bonne grâce commande qu’on s’arrête. » Ce Rémond de Saint-Mard était l’âme des réunions de Mme de Verteillac, le Voiture de ce nouvel Hôtel de Rambouillet. C’était un grand diseur de bons mots qu’on répétait, un imitateur de Fontenelle, épicurien de bonne compagnie qui n’avait que le souffle, et qui n’en vécut pas moins plus de soixante-quinze ans, ce qui semble prouver que l’air des salons de Paris est moins malsain qu’on ne pense. Les rares écrits que sa santé ou son indolence lui permit d’achever étaient fort admirés de ses amis, et, quand il lisait à un cercle choisi ses dialogues des dieux, on murmurait à demi-voix le nom de Lucien. Il était célèbre alors dans toutes les sociétés polies ; qui sait seulement son nom aujourd’hui ? L’oubli où il est tombé montre bien toute la fragilité de ces renommées de salon.

Les charmes de Paris et de Mme  de Verteillac paraissent avoir