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les Lettres persanes. Séguier vit souvent Voltaire, qui professait à ce moment la sympathie la plus vive pour Maffei. La Mérope lui semblait un ouvrage parfait « dans lequel on ne trouvait pas le moindre défaut de conduite. » — « J’aime mieux, écrivait-il, la scène où la mère prend son fils pour le meurtrier de son fils même que beaucoup de pièces entières de Corneille et de Racine. » Ces sentimens changèrent lorsqu’il eut fait lui-même une Mérope ; il trouva naturellement la sienne beaucoup plus belle que l’autre, et il éprouva le besoin d’en convaincre le public. Les éloges qu’il avait donnés à la pièce italienne dans son premier enthousiasme ne laissaient pas de le gêner, et il craignait beaucoup qu’on ne les eût pas oubliés. Pour en effacer le souvenir sans avoir trop l’air de se contredire, il eut soin de s’écrire à lui-même, sous le nom d’un M. de la Lindelle, une lettre très vive où il ne gardait aucune retenue. La pauvre tragédie qu’il jugeait parfaite quelques années auparavant y était traitée de « farce de foire, » de « puérilité de collège, » de « déclamation de régent de sixième, » et on la trouvait tout à fait « digne du théâtre d’Arlequin ; » mais en 1733 on était loin des aménités de M. de la Lindelle, et Voltaire affectait d’appeler Maffei son maître. Séguier ne paraît pas avoir été précisément séduit par le grand homme en le voyant de près. Il en parle avec une réserve qui n’est pas exempte de malice. Après nous avoir dit « qu’il est maigre et sec, et qu’un feu secret le dévore et le consume, » il ajoute : « sa liberté de penser et quelques ouvrages qu’il a composés lui ont attiré des affaires fâcheuses dont il s’est toujours débarrassé par son mérite et le crédit de ses amis. Il a cependant un grand nombre d’envieux. Parlant un jour de ce sujet avec lui, il me dit qu’on l’enviait parce qu’il avait du bien, et que ses ennemis en crevaient de dépit. On publia du temps que j’étais à Paris ses Lettres philosophiques. Ce livre l’obligea à s’absenter du royaume ; quelque temps après, ses affaires s’accommodèrent, et il revint à Paris. Je le félicitai sur son retour, et je lui parlai du plaisir qu’en éprouvaient ses amis et les gens de lettres ; il me répondit sur cela que tous ceux qui avaient quelque estime et quelque amour pour la vertu seraient bien aises de le revoir. » Cette vanité intrépide devait plaire médiocrement au modeste Séguier ; aussi ne peut-il s’empêcher de trouver Voltaire « un peu trop plein de lui-même, » mais, comme étonné de sa hardiesse, il s’empresse d’ajouter « que ce défaut est en quelque façon pardonnable dans une personne d’autant de mérite et de réputation. »

Les salons aussi recherchèrent l’illustre Italien. Sans avoir encore toute l’importance qu’ils prirent à la fin de ce siècle, ils influaient déjà beaucoup sur l’esprit public et tenaient une grande place dans