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tures. Aussi est-il probable qu’avec cette timidité de caractère Séguier n’aurait jamais songé de lui-même à quitter Nîmes. Il se serait arrangé pour y vivre agréablement entre ses devoirs et ses études. Devenu le successeur de son père au présidial, il aurait acquis dans sa province une réputation de savant ; mais, comme il était modeste, son nom ne serait peut-être jamais parvenu jusqu’à Paris sans une circonstance singulière qui changea sa vie.

Au mois d’octobre 1732, Nîmes fut visité par un voyageur illustre, le marquis Scipion Maffei, qui avait la réputation d’être un des plus grands érudits de l’Europe. La Bastie, qui annonça cette visite à Séguier, le prévint en même temps qu’il aurait quelques combats à livrer avec l’hôte qu’il allait recevoir. Maffei était grand patriote, et rien ne le préoccupait plus que la gloire de sa chère Vérone ; aussi s’était-il mis en tête de donner plus de prix aux antiquités qu’elle renferme en rabaissant celles des autres pays. Comme il ne connaissait les arènes de Nîmes que par un dessin fort inexact, il s’avisa de prétendre que ce n’était pas un amphithéâtre, réservant ce nom au colisée de Rome et aux arènes de Vérone. Séguier ne pouvait pas être complaisant pour cette opinion singulière, car lui aussi aimait sa patrie et était fier des monumens qu’elle possède. Les deux rivaux, armés de textes et d’argumens, durent donc combattre avec énergie pour la gloire de leur pays. Contrairement à ce qui arrive d’ordinaire, la discussion les rapprocha. Maffei, qui avait eu souvent affaire aux érudits, encore plus irritables que les poètes, fut charmé de trouver un contradicteur si poli, et lui proposa de l’accompagner. L’offre était séduisante. Maffei avait entrepris précisément le dessein dont Séguier avait eu un moment la pensée ; il courait le monde pour ramasser des inscriptions, et voulait en faire un recueil nouveau plus complet que celui de Gruter. Comment Séguier aurait-il refusé de l’aider dans une entreprise dont il comprenait si bien l’utilité ? Il ne s’agissait d’ailleurs que d’une courte absence, et, comme on devait se séparer après avoir visité ensemble les villes voisines, la famille de Séguier consentit sans trop de peine à le laisser partir ; mais, à mesure que ces deux savans se connaissaient davantage, leur amitié devenait plus étroite. Bientôt ils ne songèrent plus à se quitter, et Séguier, qui croyait ne s’éloigner de Nîmes que pour quelques semaines, n’y devait rentrer qu’après une absence de vingt-deux ans.


II.

Maffei était certainement alors le personnage le plus important de l’Italie. C’était une sorte de génie universel à qui toutes les connaissances humaines étaient familières. « Poète, critique, anti-