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qu’on le suppose avec l’ancien culte. Personne ne le conteste plus aujourd’hui ; mais alors il répugnait même à de bons esprits, comme Tillemont, de croire que Constantin et ses successeurs avaient gardé avec le paganisme des ménagemens qui semblaient coupables, qu’ils portaient la robe de pourpre des pontifes, qu’ils souffraient qu’on fit dans les temples des sacrifices en leur nom, et qu’on leur rendît des honneurs qu’ils devaient regarder comme sacrilèges. La Bastie soutint la vérité avec autant de modération que de force. Rien ne lui était plus facile, dans un sujet qui touchait aux questions religieuses, que de faire du bruit et d’enflammer les passions du moment ; mais la popularité ne le tentait pas. Quand d’autres auraient forcé la voix pour attirer l’attention publique, il s’imposa la loi de ne parler qu’à demi-mot. « Je n’ai pas toujours dit tout ce que je pensais, écrivait-il à un ami ; mais les gens d’esprit m’entendront, et ce n’est pas pour les sots que j’écris. »

Outre ces mérites scientifiques de La Bastie un peu trop oubliés aujourd’hui, ce qu’on ne saurait pas sans les papiers de Séguier, c’est qu’il y avait dans ce gentilhomme érudit un homme de beaucoup d’esprit, plein de finesse et de passion, dont la correspondance, malgré l’aridité des sujets qui l’occupent, est une des plus animées et des plus vivantes qu’on puisse lire. Il écrit toujours de verve ; comme il ne fait rien à demi, il ne juge personne froidement, et il y a parfois dans ses lettres « de ces coups de langue ineffaçables » qui rappellent Saint-Simon. En apprenant que le marquis de Caumont, son ami, homme obligeant et médiocre, venait d’être fait académicien, il écrivait à Séguier : « Cette distinction littéraire l’a comblé de joie. Si elle m’arrivait, elle ne m’en ferait plus, puisque je vois que pour l’obtenir il ne faut que savoir lire et écrire, comme pour passer notaire. » Même après qu’il fut entré lui-même à l’Académie, il ne lui épargna pas toujours ses sarcasmes. Il la trouvait trop dissipée, trop mondaine, trop pleine de grands seigneurs désœuvrés, d’amateurs égoïstes ou d’érudits paresseux. « L’air du travail, disait-il, n’est pas celui qui souffle sur cette compagnie. » Vers la fin de sa vie, il fut engagé dans une querelle où il perdît plus d’une fois toute patience. Il avait fourni beaucoup d’inscriptions inédites à Muratori pour son grand recueil, avec des dissertations savantes qui sont encore consultées avec fruit. Malheureusement, par la négligence de Muratori et de son éditeur Argelati, les dissertations furent fort mal imprimées ; on y laissa des fautes grossières dont plusieurs pouvaient être attribuées à l’auteur aussi bien qu’au libraire. « Ceux qui n’ont jamais rien écrit, dit Fréret, n’imaginent pas jusqu’où peut aller la sensibilité d’un auteur en ces occasions : il faut être père pour excuser les fai-