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antiquaire. Dans sa jeunesse, il voulut se faire moine, et ses parens eurent beaucoup de peine à le tirer du noviciat des jésuites, où il s’était enfermé, il acheta ensuite une compagnie et fut soldat pendant quelques années ; mais, ne pouvant supporter les fatigues de ce métier, il se tourna vers la magistrature et apprit le droit. Il perdit donc dans ces hésitations une bonne partie de sa vie, qui fut si courte : heureusement pour lui, des procès qui le ruinèrent lui fournirent l’occasion d’apprendre à quoi il était propre. Une première affaire qu’il eut devant le parlement de Grenoble lui fit connaître le président de Valbonnais, qui lui donna le goût de l’érudition. Une autre le conduisit à Dijon, où il se lia d’une amitié très vive avec le président Bouhier, l’un des plus savans hommes de son temps. Une troisième le força d’aller à Paris et le mit en rapport avec l’Académie des Inscriptions, à laquelle il appartint bientôt, et dont il fut un des membres les plus laborieux. « Son érudition, dit de Boze, était d’autant plus estimable qu’on ne savait comment il l’avait acquise. » En quelques années, il avait refait une éducation incomplète, dévoré tout ce que l’antiquité nous a laissé et les meilleurs ouvrages des critiques modernes, appris ou rappris le latin, le grec et l’hébreu, étudié à fond la numismatique, l’épigraphie, la diplomatique, la géographie, l’histoire ancienne et la littérature du moyen âge. Enfermé dans son château de Monsaléon, au milieu des Alpes, les livres étaient sa seule société. « Dans ce climat d’ours et de sangliers, » comme il le disait, il n’avait d’autre distraction que l’étude. Les seuls divertissemens qu’il se donnât auraient paru à d’autres des travaux sérieux. « Je m’amuse, écrivait-il à un ami, à ramasser quelques épigrammes de l’anthologie que j’ai rendues en vers latins de même mesure, et quelques pièces un peu gaillardes qui me sont échappées de temps en temps, car enfin il faut bien donner quelquefois du relâche aux muses sévères. » Encore se permettait-il fort rarement ces débauches de poésie latine. « Les muses sévères, » c’est-à-dire l’étude des langues et des monumens anciens, l’occupaient tout entier ; personne n’avait plus que lui « cet esprit de labeur qui fait entreprendre et terminer de grands ouvrages, » mais le temps lui manqua pour rien achever. Mort à trente-neuf ans, après une longue maladie, il n’a laissé que quelques mémoires. Celui qu’il a composé sur le grand-pontificat des empereurs romains, et qui est inséré dans le recueil de l’académie des Inscriptions, est un modèle de discussion savante. Il voulait surtout y démontrer que les premiers empereurs chrétiens ont gardé soigneusement le titre de souverains pontifes, qu’ils ont fait décerner l’apothéose à leurs prédécesseurs, qu’ils ont nommé et payé des prêtres païens, qu’enfin ils n’ont pas rompu aussi brusquement