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logie. Il conçut le plan de vastes travaux qu’il ne devait jamais accomplir. « Le don de la conclusion d’un ouvrage, a-t-il dit quelque part, est rare chez certaines personnes. » Séguier était de ce nombre. Tantôt il projetait avec un ami d’écrire l’histoire des monumens antiques de son pays, tantôt il préparait un vaste recueil d’inscriptions qui devait compléter celui de Gruter ; il augmentait surtout sans relâche ses médailles et son herbier. Il commençait à se faire estimer des savans de sa ville natale et des environs ; tous les esprits curieux, tous les amateurs d’antiquité qui se trouvaient à Aix, à Avignon, à Montpellier, savaient son nom. Ce qu’il importe de remarquer, c’est qu’il n’eut besoin de rien publier pour se faire connaître d’eux. — La difficulté des communications nuisait alors moins qu’on ne pense à l’échange des idées ; plus les rapports étaient pénibles, et plus on se donnait de mal pour les faire naître, plus on faisait d’efforts pour les entretenir. Tous ceux qui dans des pays voisins s’occupaient d’études communes se recherchaient et se liaient plus étroitement entre eux pour se soutenir. Ces divers groupes correspondaient ensemble, et quelquefois leurs relations s’étendaient fort loin. Les découvertes scientifiques se répandaient non pas comme aujourd’hui par les journaux, mais par les lettres ; les réputations se faisaient ainsi dans l’ombre, elles voyageaient sans bruit d’un correspondant à l’autre. On savait par le témoignage d’un connaisseur qu’il y avait quelque part un homme de mérite habile à déchiffrer les inscriptions ou à reconnaître les plantes, et l’on n’hésitait pas à s’adresser à lui quand on avait besoin de ses lumières. On pouvait donc se faire une clientèle d’amis, d’admirateurs, et jusqu’à un certain point devenir célèbre sans avoir jamais rien écrit pour le public. C’est ainsi que commença la renommée de Séguier. En 1728, un jésuite d’Avignon lui écrivait : « La réputation que vous vous êtes acquise dans la république numismatique me fait souhaiter passionnément d’être en commerce de lettres avec vous. » On prenait déjà de tous côtés l’habitude de le consulter, et, comme il répondait à tout le monde avec une extrême obligeance, sa correspondance alla toujours en s’étendant. C’est ainsi qu’elle dépassa bientôt les villes voisines de Nîmes, et que dès 1729 il se trouvait en relation avec deux des savans les plus connus de cette époque, le baron Bimard de La Bastie et le président Bouhier.

Bouhier est connu ; La Bastie l’est beaucoup moins, et mériterait de l’être davantage. Il n’a pas assez vécu pour se faire la réputation dont il était digne. La correspondance de Séguier laisse entrevoir tout ce qu’il valait, et combien la science française perdit à sa mort. Sa vocation véritable avait été lente à se révéler, et il avait couru beaucoup d’aventures avant de devenir un philologue et un