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les idées qui vous agitent dans tous les sens. Un parti trop prédominant serait un malheur en ce moment où il faut que la lumière se fasse.

Si je dois encore une fois assister à la mort de la république, j’en ressentirai une profonde douleur. On ne voit pas sans effroi et sans accablement le progrès faire fausse route, l’avenir reculer, l’homme descendre, la vie morale s’éclipser ; mais, si cette amertume nous est réservée, ô mes amis, ne maudissons pas la France, ne la boudons pas, ne nous croyons pas autorisés à la mépriser ; elle passe par une si forte épreuve ! Ne disons jamais qu’elle est finie, qu’elle va devenir une Pologne ; est-ce que la Pologne n’est pas destinée à renaître ?

L’Allemagne aussi renaîtra ; riche et fière aujourd’hui, elle sera demain plus malade que nous de ces grandes maladies des nations nécessaires à leur renouvellement. Il y a encore en Allemagne de grands cœurs et de grands esprits qui le savent et qui attendent, tout en gémissant sur nos désastres ; ceux-là engendreront par la pensée la révolution qui précipitera les oppresseurs et les conquérans. Sachons attendre aussi, non une guerre d’extermination, non une revanche odieuse comme celle qui nous frappe ; attendons au contraire une alliance républicaine et fraternelle avec les grandes nations de l’Europe. On nous parle d’amasser vingt ans de colère et de haine pour nous préparer à de nouveaux combats ! Si nous étions une vraie, noble, solide et florissante république, il ne faudrait pas dix ans pour que notre exemple fût suivi, et que nous fussions vengés sans tirer l’épée !

Le remède est bien plus simple que nous ne voulons le croire. Tous les bons esprits le voient et le sentent. Allons-nous nous déchirer les entrailles, quand une bonne direction donnée par nous-mêmes à nos cœurs et à nos consciences aurait plus de force que tous les canons dont la Prusse menace la civilisation continentale ? Croyez bien qu’elle le sait, la Prusse ! La paix que l’on va négocier n’éteindra pas la guerre occulte qu’elle est résolue à faire à notre république. Quand elle ne nous tiendra plus par la violence, elle essaiera de nous tenir encore par l’intrigue, la corruption, la calomnie, les discordes intérieures. Serrons nos rangs et méfions-nous de l’étranger ! Il est facile à reconnaître : c’est celui qui se dit plus Français que la France.

George Sand.
Nohant, nuit du 9 au 10 février.