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Enfin ! nous verrons demain si tout se passera sans désordre et sans vexation. On est très bon dans notre pays, et nous avons un excellent sous-préfet, qui, sous l’empire tout comme aujourd’hui, a professé et professe un grand respect pour la liberté des opinions. Si on se querelle, ce ne sera pas sa faute.

Un de nos mobilisés a écrit ; malgré l’armistice, ils couchent plus que jamais dans la boue, et malgré l’espoir et l’annonce de la reprise prochaine des hostilités, moins que jamais on ne les exerce. Il y a eu des morts et des blessés, il y a surtout des malades. Un médecin de La Châtre, le docteur Boursault, malgré son âge assez avancé et sa fortune assez médiocre, s’est attaché gratuitement au service du bataillon.

Je donnerais beaucoup pour être sûre que le dictateur a remis sa démission. Je commençais à le haïr pour avoir fait tant souffrir et mourir inutilement. Ses adorateurs m’irritaient en me répétant qu’il nous a sauvé l’honneur. Notre honneur se serait fort bien sauvé sans lui. La France n’est pas si lâche qu’il lui faille avoir un professeur de courage et de dévoûment devant l’ennemi. Tous les partis ont eu des héros dans cette guerre, tous les contingens ont fourni des martyrs. Nous avons bien le droit de maudire celui qui s’est présenté comme capable de nous mener à la victoire et qui ne nous a menés qu’au désespoir. Nous avions le droit de lui demander un peu de génie, il n’a même pas eu de bon sens.

Que Dieu lui pardonne ! Je vais me dépêcher de l’oublier, car la colère et la méfiance composent un milieu où je ne vivrais pas mieux qu’un poisson sur un arbre. Ceux qui ne sont pas contens du dictateur disent qu’il aura des comptes sévères à rendre à la France, et que son avenir n’est pas riant. Je souhaite qu’on le laisse tranquille. S’il faut qu’une enquête se fasse sur sa probité, que je ne révoque point en doute, les exaltés ne sont pas cupides, dès qu’il se sera justifié, qu’on lui pardonne tout, en raison de la raison qui lui manque. Le chauffeur maladroit qui fait éclater la chaudière n’est pas punissable quand il saute avec elle.

Il pleut, le vent souffle en foudre. Il y a dans l’air une détente qui ne sera pas sans influence sur notre espèce nerveuse et impressionnable. Non ! on ne se battra pas demain.

8 février.

Dès le matin, les paysans des deux sections de la commune étaient réunis devant l’église. Les vieux et les infirmes voulaient se traîner au chef-lieu de canton, qui est à six kilomètres. Mon fils fait atteler pour eux un grand chariot qu’on accepte, et il s’en va à pied avec les jeunes. Sur la route, on rencontre les autres communes marchant en ordre avec leurs vieillards conduits par les voitures