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devront être exercées tous les jours pendant de longues heures pour s’aguerrir. » — Il est temps d’y songer, à présent que celles qui savaient se battre sont prisonnières ou cernées, et que celles qui ne savent rien sont démoralisées par l’inaction et décimées par les maladies ! Ferez-vous repousser les pieds gelés que la gangrène a fait tomber dans vos campemens infects ? Ressusciterez-vous les infirmes, les phthisiques, les mourans que vous avez fait partir et qui sont morts au bout de vingt-quatre heures ? Rétablirez-vous la discipline dont vous vous êtes préoccupé tout récemment et que vous avez laissée périr comme une chose dont l’élément civil n’avait aucun besoin ?

Mais voici le couronnement du mépris pour les droits de la nation. Après avoir décrété la guerre à outrance, le ministre de l’intérieur et de la guerre, l’homme qui n’a pas reculé devant cette double tâche, ajoute : « Enfin, il n’est pas jusqu’aux élections qui ne puissent et ne doivent être mises à profit. » — Et puis, tout de suite, vient l’ordre d’imposer la volonté gouvernementale, j’allais dire impériale, aux électeurs de la France. — Ce qu’il faut à la France, c’est une assemblée qui veuille la guerre et soit décidée à tout.

« Le membre du gouvernement qui est attendu arrivera sans doute demain matin. » Le ministre, — c’est de lui-même que parle M. Gambetta, — le ministre s’est fixé un délai qui expire demain à trois heures, c’est-à-dire que, si l’on tarde à lui céder, il passera outre et régnera seul. Le tout finit par un refrain de cantate.

« Donc, patience ! fermeté ! courage ! union et discipline ! »

Voilà comme M. Gambetta entend ces choses ! Quand il a apposé beaucoup de points d’exclamation au bas de ses dépêches et circulaires, il croit avoir sauvé la patrie.

Nous voilà bien et dûment avertis que Paris ne compte pas, que c’est une place forte comme une autre, qu’on peut ne pas s’en soucier et continuer l’épuisement rêvé par la grande âme du ministre pendant que l’ennemi, maître des forts, réduira en cendres la capitale du monde civilisé. Il n’entre pas dans la politique, si modestement suivie et pratiquée par le ministre, de s’apitoyer sur une ville qui a eu la lâcheté de succomber sans son aveu !

Ce déplorable enivrement d’orgueil qui conduit un homme, fort peu guerrier, à la férocité froide et raisonnée, est une note à prendre et à retenir. Voilà ce que le pouvoir absolu fait de nous ! Dépêchez-vous de vous donner des maîtres, pauvres moutons du Berry !

1er février.

Aujourd’hui le ministre refait sa thèse. Il change de ton à l’égard de Paris. C’est une ville sublime, qui ne s’est défendue que pour lui