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26 janvier.

Encore une levée, celle des conscrits par anticipation. On a des hommes à n’en savoir que faire, des hommes qu’il faut payer et nourrir, et qui seront à peine bons pour se battre dans six mois ; ils ne le seront jamais, si on continue à ne pas les exercer et à ne les armer qu’au moment de les conduire au feu. Mon troisième petit-neveu vient de s’engager.

27.

Visites de jeunes officiers de mobilisés, enfans de nos amis du Gard. Ils sont en garnison dans le pays on ne peut plus mal, et ne faisant absolument rien, comme les autres. Châteauroux regorge de troupes de toutes armes qui vont et viennent, on ne saura certainement jamais pourquoi. À La Châtre, on a de temps en temps un passage annoncé ; on commande le pain, il reste au compte des boulangers. L’intendance a toujours un règlement qui lui défend de payer. D’autres fois la troupe arrive à l’improviste, on n’a reçu aucun avis, le pain manque. Heureusement les habitans de La Châtre pratiquent l’hospitalité d’une manière admirable ; ils donnent le pain, la soupe, le vin, la viande à discrétion : ils coucheraient sur la paille plutôt que de ne pas donner de lit à leur hôte. Ils n’ont pas été épuisés ; mais dans les villes à bout de ressources les jeunes troupes souffrent parfois cruellement, et on s’étonne de leur résignation ! Le découragement s’en mêle. Subir tous les maux d’une armée en campagne et ne recevoir depuis trois et quatre mois aucune instruction militaire, c’est une étrange manière de servir son pays en l’épuisant et s’épuisant soi-même.

Un peu de fantaisie vient égayer un instant notre soirée, c’est une histoire qui court le pays. Trois Prussiens (toujours trois !) ont envahi le département, c’est-à-dire qu’ils en ont franchi la limite pour demander de la bière et du tabac dans un cabaret. De plus, ils ont demandé le nom de la localité. En apprenant qu’ils étaient dans l’Indre, ils se sont retirés en toute hâte, disant qu’il leur était défendu d’y entrer, et que ce département ne serait pas envahi à cause du château de Valençay, le duc ayant obtenu de la Prusse, où ses enfans sont au service du roi, qu’on respecterait ses propriétés.

Il y a déjà quelque temps que cette histoire court dans nos villages. Les habitans de Valençay ont dit que, si les Prussiens respectaient seulement les biens de leur seigneur et ravageaient ceux du paysan, ils brûleraient le château.

Il y a quelque chose qu’on dit être vrai au fond de ce roman, c’est que le duc de Valençay aurait écrit de Berlin à son intendant d’emballer et de faire partir les objets précieux du château, et que,