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dictature commence à casser leurs vitres, le moment étant venu où il faut faire flèche de tout bois. Les rouges d’ailleurs sont dans l’armée comme les légitimistes, comme les cléricaux, comme les orléanistes. Évidemment les rouges sont des hommes comme les autres, ils se battent comme les autres, et il faudra compter avec leur opinion comme avec celle des autres. Ce serait même le moment d’une belle fusion, si, par tempérament, les rouges n’étaient pas irréconciliables avec tout ce qui n’est pas eux-mêmes ; c’est le parti de l’orgueil et de l’infaillibilité. À cet effet, ils ont inventé le mandat impératif que des hommes d’esprit, Rochefort entre autres, ont cru devoir subir, sans s’apercevoir que c’était la fin de la liberté et l’assassinat de l’intelligence !

Les rouges ! c’est encore un mot vide de sens. Il faut le prendre pour ce qu’il est : un drapeau d’insurrection ; mais dans les rangs de ce parti il y a des hommes de mérite et de talent qui devraient être à sa tête et le contenir pour lui conserver l’avenir, car ce parti en a, n’en déplaise aux modérés, c’est même probablement celui qui en a le plus, puisqu’il se préoccupe de l’avenir avec passion, sans tenir compte du présent. Qu’on fasse entrer dans ses convictions et dans ses mœurs, un peu trop sauvages, le respect matériel de la vraie légalité, et de la confusion d’idées folles ou généreuses qu’il exhale, pêle-mêle sortiront des vérités qui sont déjà reconnues par beaucoup d’adhérens silencieux, ennemis, non de leurs doctrines, mais de leurs façons d’agir. Une société fondée sur le respect inviolable du principe d’égalité, représenté par le suffrage universel et par la liberté de la presse, n’aurait jamais rien à craindre des impatiens, puisque leur devise est liberté, égalité : je ne sais s’ils ajoutent fraternité : dans ces derniers temps, ils ont perdu par la violence, la haine et l’injure, le droit de se dire nos frères.

N’importe ! une société parfaitement soumise au régime de l’égalité et préservée des excès par la liberté de parler, d’écrire et de voter, aurait dès lors le droit de repousser l’agression de ceux qui ne se contenteraient pas de pareilles institutions, et qui revendiqueraient le droit monstrueux de guerre civile. Il faut que les modérés y prennent garde ; si les insurrections éclatent parfois sans autre cause que l’ambition de quelques-uns ou le malaise de plusieurs, il n’en est pas de même des révolutions, et les révolutions ont toujours pour cause la restriction apportée à une liberté légitime. Si, par crainte des émeutes, la société républicaine laisse porter atteinte à la liberté de la parole et de l’association, elle fermera la soupape de sûreté, elle ouvrira la carrière à de continuelles révolutions. M. Gambetta paraît l’avoir compris en prononçant quel-