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uns par dévoûment sincère, les autres pour satisfaire leurs mauvaises passions ou pour faire de scandaleux profits. Il a tout pris au hasard, pensant que tous les moyens étaient bons pour agiter et réveiller la France, et qu’il fallait des hommes et de l’argent à tout prix. Il n’a eu aucun discernement dans ses choix, aucun respect de l’opinion publique, et cela involontairement, j’aime à le croire, mais aveuglé par le principe « qui veut la fin veut les moyens. » Il faut être bien enfant pour ne pas savoir, après tant d’expériences récentes, que les mauvais moyens ne conduisent jamais qu’à une mauvaise fin. Comme il a cherché à se constituer un parti avec tout ce qui s’est offert, il serait difficile de dire quelle est la règle, quel est le système de celui qu’il a réussi à se faire ; mais ce parti existe et fait très bon marché des sympathies et de la confiance du pays. Il y a un parti Gambetta, et ceci est la plus douloureuse critique qu’on puisse faire d’une dictature qui n’a réussi qu’à se constituer un parti très restreint, quand il fallait obtenir l’adhésion d’un peuple. On ne fera plus rien en France avec cette étroitesse de moyens. Quand tous les sentimens sont en effervescence et tous les intérêts en péril, on veut une large application de principes et non le détail journalier d’essais irréfléchis et contradictoires qui caractérise la petite politique. J’espère encore, j’espère pour ma dernière consolation en cette vie que mon pays, en présence de tant de factions qui le divisent, prendra la résolution de n’appartenir à aucune et de rester libre, c’est-à-dire républicain. Il faudra donc que le parti Gambetta se range, comme les autres, à la légalité, au consentement général, ou bien c’est la guerre civile sans frein et sans issue, une série d’agitations et de luttes qui seront très difficiles à comprendre, car chaque parti a son but personnel, qu’il n’avoue qu’après le succès. Les gens de bonne foi qui ont des principes sincères sont ceux qui comprennent le moins des événemens atroces comme ceux des journées de juin. Plus ils sont sages, plus le spectacle de ces délires les déconcerte.

L’opinion républicaine est celle qui compte le plus de partis, ce qui prouve qu’elle est l’opinion la plus générale. Comment faire, quel miracle invoquer pour que ces partis ne se dévorent pas entre eux, et ne provoquent pas des réactions qui tueraient la liberté ? Quel est celui qui a le plus d’avenir et qui pourrait espérer se rallier tous les autres ? C’est celui qui aura la meilleure philosophie, les principes les plus sûrs, les plus humains, les plus larges ; mais le succès lui est promis à une condition, c’est qu’il sera le moins ambitieux de pouvoir personnel, et que nul ne pourra l’accuser de travailler pour lui et ses amis.

Le parti Gambetta ne présente pas ces chances d’avenir, d’abord