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15 janvier.

Rien, qu’une angoisse à rendre fou !

16.

La peste bovine nous arrive. Plus de marchés. Beaucoup de gens aisés ne savent avec quoi payer les impôts. Les banquiers ne prêtent plus, et les ressources s’épuisent rapidement. La gêne ou la misère est partout. Un de nos amis qui blâme les retardataires finit par nous avouer que ses fermiers ne le paient pas, que ses terres lui coûtent au lieu de lui rapporter, et que s’il n’eût fait durant la guerre un petit héritage, dont il mange le capital, il ne pourrait payer le percepteur. Tout le monde n’a pas un héritage à point nommé. Comme on le mangerait de bon cœur en ce moment où tant de gens ne mangent pas !

On admire la belle retraite de Chanzy, mais c’est une retraite !

17 janvier.

Notre ami Girerd, préfet de Nevers, est destitué pour n’avoir pas approuvé la dissolution des conseils-généraux. Il avait demandé au conseil de son département un concours qui lui a été donné par les hommes de toute opinion avec un patriotisme inépuisable. Il n’a pas compris pourquoi il fallait faire un outrage public à des gens si dévoués et si confians. On lui a envoyé sa destitution par télégramme. Il a répondu par télégramme avec beaucoup de douceur et d’esprit : « Mille remercîmens ! » Il n’a pas fait d’autre bruit, mais l’opinion lui tiendra compte de la dignité de sa conduite ; ces mesures révolutionnaires sont bien intempestives, et dans l’espèce parfaitement injustes. La délégation est malade, elle entre dans la phase de la méfiance.

Dégel, vent et pluie. Tous les arbustes d’ornement sont gelés. Les blés, si beaux naguère, ont l’air d’être perdus. Encore cela ? Pauvre paysan, pauvres nous tous !

Nous avons des nouvelles du camp de Nevers, qui a coûté tant de travail et d’argent. Il n’a qu’un défaut, c’est qu’il n’existe pas. Comme celui d’Orléans, il était dans une situation impossible. On en fait un nouveau, on dépense encore vingt-cinq millions pour acheter un terrain, le plus cher et le plus productif du pays. Le général, l’état-major, les médecins, sont là, logés dans les châteaux du pays ; mais il n’y a pas de soldats, ou il y en a si peu qu’on se demande à quoi sert ce camp. Les officiers sont dévorés d’ennui et d’impatience. Il y a tantôt trois mois que cela dure.

18.

Le bombardement de Paris continue ; on a le cœur si serré qu’on n’en parle pas, même en famille. Il y a de ces douleurs qui ne